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Le 01/02/2018 à 17h

DOSSIER : la médiation dans le droit public

Le besoin d'apaisement des relations au sein du corps social et la recherche de modes amiables de prévention et résolution des litiges avec et au sein des administrations est apparu dans notre pays depuis un certain temps déjà.

Nous avons vu prospérer ainsi au fil des années les missions et les métiers de "médiateurs", sans que l'on sache vraiment ce que le terme pouvait recouvrir. Le rôle de ces médiateurs, bénévoles ou employés des administrations et entreprises publiques concernées, socialement et économiquement de plus en plus indispensable, restait juridiquement flou et fragile.

Parallèlement, nous assistons à une forte croissance de la demande de justice de la part des usagers du service public mieux informés de leurs droits.

Or, alors que dans la sphère judiciaire privée, les modes amiables de règlement des litiges, et en particulier la médiation, ont trouvé leur place dans le corpus législatif et affichent des résultats très positifs- en matière de rapidité, de coût, de qualité des accords obtenus - salués tant par les justiciables que par les magistrats et les avocats, force est par contre de constater dans la sphère publique, une certaine frilosité, confortée, il est vrai, par les règles d'ordre public.

C'est pourquoi, dans ce contexte, à l'heure où la loi J21 (Justice du 21ème siècle ), du 18 novembre 2016, fait entrer la médiation dans le droit public "dur", il est important de sensibiliser ses principaux clients potentiels- administrations et collectivités territoriales- à la "révolution culturelle" ainsi introduite dans le Code de justice administrative.

Ce dossier propose une approche en 3 temps:
-1- Connaître la loi pour mieux l'appliquer;
-2- Comprendre le processus pour bien l'utiliser;
-3- Conduire le changement pour ne pas le subir.

DOSSIER : la médiation dans le droit public

I- CONNAITRE LA LOI POUR MIEUX L'APPLIQUER

-A- Un long processus de construction législative et réglementaire

La médiation, en tant que processus structuré soumis à l'accord des parties, avec l'aide d'un tiers, est inscrite dans le droit positif français depuis 1995: la loi du 11/2/1995 introduit en effet la médiation dans la sphère judiciaire et un décret l'intègre en 1996 dans le code de procédure civile. Puis la directive européenne du 21/5/2008, transposée par une ordonnance du 17/11/2011, complète la loi de 1995 en matière civile et commerciale, ainsi qu'en matière administrative pour les litiges transfrontaliers.

Mais c'est sans doute l'engagement de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, et sa ténacité à promouvoir une vraie culture de la médiation et des modes alternatifs de règlement des litiges, qui vont permettre, à travers un amendement quasi "clandestin", d'écrire dans la loi J21 un chapitre ( chapitre IV ) dédié à "la médiation dans les litiges relevant de la juridiction administrative": l'article L 213-1 reprend la définition de la médiation telle que donnée à l'article 1 de l'ordonnance du 17/11/2011.

Cette reconnaissance juridique et l'inscription dans le "droit dur" est complétée par un décret "mode d'emploi" du 18/4/2017 qui fait entrer le processus de médiation dans la partie réglementaire du Code de justice administrative.

-B- Le dispositif devient ainsi opérationnel

D'autant que la loi J21 prévoit, à titre expérimental pour une durée de quatre ans, une "médiation préalable obligatoire" en ce qui concerne les litiges concernant la situation personnelle des fonctionnaires, les requêtes relatives aux prestations sociales et allocations de logement, ainsi qu'en faveur des travailleurs privés d'emploi.
Le décret d'application devrait paraître très prochainement.

Plus largement, la reconnaissance inscrite dans les textes – n’oublions pas que la France est un pays de droit écrit! - de la médiation comme outil de justice offre une véritable opportunité aux justiciables que sont les administrations et les collectivités territoriales.

En effet, J21 crée, à côté de la médiation à l'initiative du juge administratif, après le dépôt d'un recours, LA MEDIATION A L'INITIATIVE DES PARTIES, en amont donc de la saisine du juge: il est particulièrement important et intéressant de préciser que si cette médiation à l'initiative des parties se met en place avant les deux mois des délais de recours contentieux, elle entraîne l'interruption desdits délais.

C'est donc une vraie alternative au contentieux qui s'offre aux parties, à leur initiative et sous leur maîtrise.

Face au contentieux, vécu plus ou moins consciemment toujours comme un échec, à l'issue aléatoire, au processus long, lourd et coûteux, source d'affrontement et donc traumatisant, au terme duquel il y aura un gagnant et un perdant, la médiation apparaît comme une solution rapide, simple, peu coûteuse, adaptée aux besoins: elle permet de renouer le dialogue et donne un visage et de l'humanité à la justice administrative, circonscrite devant les tribunaux à l'échange d'arguments écrits et de droit pur; en médiation, les parties, accompagnées par le tiers médiateur garant du processus, les acteurs et co-auteurs d'un accord gagnant-gagnant.

Là où un jugement peut marquer la fin d'une relation- entre employeur et employé, client et prestataire - la médiation va permettre, en renouant le dialogue, de poursuivre la relation de façon apaisée et durable.

II- COMMENT CELA MARCHE, CONCRÈTEMENT?

-A- Il faut rappeler d'abord ce que n'est pas la médiation au sens de la loi J21.

Elle se différencie en effet de:

a) la conciliation, où un tiers intervient pour proposer une solution qui ne s'impose pas aux parties;

b) l'arbitrage, où un tiers décide de la solution qui s'impose aux parties.

Elle se différencie aussi des dispositifs internes mis en place depuis plusieurs années par les collectivités territoriales, les administrations et organismes publics, de type commission de conciliation, tiers de référence, médiateur interne... Ces dispositifs, utiles et qui ont leur efficacité, ont été annonciateurs, par leur rôle globalement de "facilitateurs" et "pacificateurs", de la médiation judiciaire dans la sphère administrative.

-B- La médiation définie à l'article 213-1 de la loi du 18/11/2016 et inscrite dans le code de justice administrative est d'une autre nature, en ce sens qu'elle aboutit à un accord ayant autorité de la chose jugée, donc la même valeur que le jugement rendu par le juge administratif.


Elle consacre un processus de droit mené par les parties-justiciables elles-mêmes avec l'aide d'un tiers neutre, indépendant, impartial et compétent par sa formation et son expérience.
Accompagnées par le médiateur, garant du bon déroulement du processus, ce sont les parties, hommes et femmes concernées à titre personnel ou par leur fonction, qui dialoguent, recherchent et construisent leur accord.

Elles le font avec la garantie de:

a) la confidentialité, puisque, quelle que soit l'issue de la médiation, rien de ce qui aura été dit pendant la médiation ne sera communiqué;

b) la liberté de mettre fin à tout moment au processus;

c) l'efficacité, puisque l'accord a autorité de la chose jugée et peut recevoir force exécutoire.

La médiation, cela commence par un dialogue qui se renoue, qui permet d'appréhender le(s) conflit(s) au-delà du dossier du litige et des postures, qui ne sont souvent que la face visible de l'iceberg... la seule que peut connaître le juge.
Cela permet, en conséquence, de repartir sur de nouvelles bases, par l'apaisement et la disparition des non-dits, et la restauration de la confiance et du respect mutuels: c'est important tant dans un conflit du travail (l'agent ou le fonctionnaire concerné restera sans doute des années encore dans la structure, voire le service) que dans une relation contractuelle avec un fournisseur ou un partenaire avec qui on pourra continuer à travailler, ou encore avec un usager qui, se sentant reconnu dans ses droits, comprendra mieux le fonctionnement et les contraintes du service public.

III - LA MEDIATION, UN OUTIL MODERNE POUR CONDUIRE LE CHANGEMENT

-A- Il n’y a rien à perdre et tout à gagner à utiliser la médiation comme mode de règlement amiable d'un litige relevant de la juridiction administrative?

Le bon sens répond oui, le souci de l'efficacité- économique et sociale- aussi!

L'inscription voulue par le législateur de la médiation dans le processus judiciaire de droit public devrait donc conduire - non par obligation mais par souci de l'intérêt général bien compris - à faire du recours à ce mode amiable un réflexe, au moment de la survenue d'un litige, bien sûr, mais aussi, encore plus peut-être, à titre préventif pour éviter un éventuel conflit.

Une collectivité ou organisme public, attentif au bien-être au travail n'aurait qu'avantage à inscrire, en accord avec les partenaires sociaux, le principe du recours à la médiation, la 'vraie', au sens de J21, dans le règlement intérieur, la charte de service, ou tout autre document relatif aux relations sociales.
De la même manière, prévoir dans les marchés ( cela se fait déjà ) et autres contrats l'engagement des partenaires à mettre en place une médiation, en amont de tout recours contentieux, en cas de litige, serait un signe fort d'une gestion moderne, respectueuse de la préservation des deniers publics, soucieuse du dialogue et de la transparence économique.

Ainsi utilisé, le principe de médiation peut devenir au sein des structures publiques un véritable moteur pour la conduite du changement, en mode efficace et consensuel.

-B- Avec J21 et le décret du 18 avril 2017, avec l'expérimentation prochaine d'une médiation préalable obligatoire, c'est un bouleversement culturel qui fait irruption dans la justice administrative et, plus largement, dans la sphère publique toute entière.

Ce changement, il convient que les acteurs – ou plutôt les bénéficiaires, au premier rang desquels se trouvent les administrations et collectivités locales - se mettent en capacité de le conduire pour ne pas le subir.
Ils trouveront les informations, voire la formation souhaitées auprès des 'pionniers', des collègues qui vont expérimenter la médiation préalable obligatoire dans plusieurs départements, mais aussi auprès de leurs conseils. Les avocats, en particulier ceux qui se sont formés à la médiation, sont les mieux à même de les accompagner dans la mise en œuvre de ce processus.


Face donc à une demande de plus et mieux de droit, le législateur, sous l'impulsion de la Haute Juridiction administrative, a fait son travail pour reconnaître et permettre d'utiliser ce nouvel outil au service de la justice administrative et de ses acteurs et ressortissants : magistrats, avocats, collectivités territoriales, administrations et organismes de droit public...

A eux maintenant, ensemble et librement, de faire vivre et prospérer la médiation dans une volonté partagée de concilier paix sociale et efficacité économique grâce à une justice moderne et engagée.

Martine Juston
Avocate au Barreau de Paris

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