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Le 22/01/2021 à 10h

"Construire une maîtrise d'ouvrage urbaine passe par des communautés éphémères"

Les nouveaux élus doivent résoudre une équation complexe pour mettre en place des projets urbains dans un contexte mouvant. Pour Jean-Yves Chapuis, cela passe d'abord par l'écoute... et une organisation adaptée. L'ancien vice-président aux formes urbaines de Rennes Métropole, adjoint à l'urbanisme d'Edmond Hervé, est aujourd'hui consultant. Elu de 1983 à 2014, il intervient ensuite tant dans des métropoles comme Lyon ou Bordeaux, que dans des territoires plus ruraux comme les Vosges ou le Périgord Vert. "Il ne faut pas essayer trop vite de trouver une définition de la ville, c'est beaucoup trop gros", pense-t-il à la suite de Georges Perec. Mais on peut la mettre en oeuvre...

Propos recueillis par Rémi CAMBAU, pour Cadre de Ville

"Construire une maîtrise d'ouvrage urbaine passe par des communautés éphémères"

Vous venez de publier "L'Elu local comme artisan du changement". Que change selon vous pour les élus la situation créée par le virus de la Covid-19 ?

Sur le fond rien, car le rôle de l'élu a toujours été de se demander ce que signifie "habiter la ville", et d'écouter les citoyens pour savoir ce qu'ils attendent. En décryptant. Les gens ne vivent pas dans des concepts, aussi vertueux soient-ils... Par exemple, la densité, ou l'étalement urbain, les gens s'en foutent. J'ai accompagné Nancy sur son PLU. Sur ces questions, Ville Ouverte a réalisé un film avec des habitants. Les gens y parlent de leur vie, et la dame qui veut des services, la qualité proche de chez elle, c'est une demande de densité.

De façon plus générale, il est idiot d'opposer périurbain et métropole. La métropole de Rennes fait vivre un hinterland énorme jusqu'à Saint-Malo. Il faut l'intégrer, dans le cadre d'une alliance des territoires, et permettre aux gens d'habiter selon leurs contraintes et leurs désirs. Un haut fonctionnaire territorial vit à 40 km de Rennes et prend le train tous les jours, puis le métro, pour aller à son travail.
Et 78% du territoire de la métropole rennaise est à vocation de nature et d'agriculture. La vie n'est pas binaire.

"La question de l'organisation de la puissance publique est déterminante, et interroge tous les nouveaux exécutifs issus des élections municipales"

Pour saisir la réalité urbaine, et construire un projet basé sur une vision sensible, la question centrale est celle de la maîtrise d'ouvrage urbaine publique. Comment peut la construire un adjoint à l'urbanisme tout nouvellement élu ? le fil directeur consiste à vouloir réfléchir à un territoire dont les gens se sentent partie prenante. Et construire le projet humain avant le projet urbain.

Après, des organisations spécifiques et dynamiques s'imposent. L'adjoint doit animer un groupe de travail permanent. Et l'un des sujets c'est la transformation des services de la collectivité, pour les ouvrir à l'évolution du monde, de la société, la façon dont les gens vivent... Il faut rendre les gens visibles, et leur parler pour apprendre d'eux - c'est un travail permanent pour un élu, cela ne saurait se réduire à la concertation, la participation, ou les réunions de quartiers ou de mandat... Tout cela est trop formel.

La question de l'organisation de la puissance publique est déterminante. Or, je vois des nouveaux exécutifs où 6 élus s'occupent d'urbanisme. Il faudrait au contraire peu de grandes délégations. Un exécutif autour du maire, qui traite des grands problèmes, puis des élus de quartier présents pour avoir le contact avec la société.

Il faut mettre sur pied des communautés éphémères associant des experts, des élus et les services - ces derniers sont dans des démarches trop techniques. Et ces communautés doivent se confronter aux habitants. Les gens sont des usagers de la ville, pas des experts de la ville. De fait, parfois, ce que fait l'élu, va contre l'avis des gens.

Il faut recréer sur ces bases la maîtrise d'ouvrage urbaine, sur la base de gouvernances territoriales élargies, construites sur des alliances de territoires d'intensités différentes mais complémentaires. Les SCoT de 144 communes c'est fini ! des communes de 300 habitants ne peuvent pas faire émerger seules les solutions urbaines, même si c'est à leur échelle que le contact s'établit avec la population.

Vous ne pensez pas que l'épidémie de Covid va changer durablement la société ?

Oui, le télétravail va se développer, mais la France était en retard - il touche 28% des actifs dans les pays nordiques contre 10% en France. Cela interroge sur la conception des espaces intérieurs. Selon moi, on ne devrait pas signer un permis de construire sans qu'un sociologue regarde la conception des espaces.

On meurt de trop de réunions institutionnelles. Il faut retourner débattre avec les gens. Le Covid va passer. Il nous faut instaurer la méthode de l'humain, et aussi débat sur la démocratie.

Prenons les conventions citoyennes. On n'avancera pas si, tant les élus représentatifs que les participants à la convention, raisonnent sur le mode "à prendre ou à laisser". Nous vivons une telle défiance vis-à-vis des institutions que le débat est difficile.

L'intérêt général a du mal à s'affirmer face aux intérêts particuliers. "On est passé d'un individualisme universaliste à un individualisme de singularité", explique Pierre Rosanvallon. Les gens veulent des réponses à leurs problèmes personnels. Il n'y a plus à proprement parler de groupes sociaux.

Alors les élus se retranchent et certains se plaignent : "on ne nous aide pas". Mais la question est : "quel est votre projet" ? Et comment l'habitant se sent-il partie prenante du projet de sa ville ?
Cela n'invalide pas la place des experts. ils seront convoqués dans des communautés éphémères, où l'expertise sera confrontée avec la vie quotidienne des gens. Et c'est aux élus de mettre ça en forme. Mais il faut parfois savoir "se déloger", sortir de sa zone de tranquillité. C'est vrai pour les élus comme pour les services. L'élu doit vivre dans un questionnement perpétuel...

Propos recueillis par Rémi Cambau, rédacteur en chef de Cadre de Ville


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