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Le 04/05/2022 à 17h

Romain Lucazeau, directeur général de La Scet : "L'ingénierie territoriale sécurise l'investissement public"

Moins d'un tiers du Plan de relance a été décaissé, alerte la Scet. Dans des économies devenues "bottom-up", les inégalités territoriales sont devenues "un sujet micro-géographique", veut croire le directeur général de la Scet, Romain Lucazeau, qui identifie le rôle névralgique de ce qu'il nomme "la chefferie de projet" pour accompagner l'investissement dans les territoires. Proposant notamment que l'on envoie quelques hauts fonctionnaires parisiens piloter des projets sur le terrain, il présente aussi la remise en ordre de la société à laquelle il s'est attelé depuis sa nomination voici moins d'un an, et son "positionnement de marché".

Romain Lucazeau, directeur général de La Scet : "L'ingénierie territoriale sécurise l'investissement public"

Romain Lucazeau, directeur général de la Scet - ici lors des Entretiens du Cadre de Ville en octobre 2021

Romain Lucazeau annonce un "Action Cœur de Ville 2" où la place du chef de projet reviendrait au centre des dispositifs - un peu comme dans le déploiement du programme Petites Villes de Demain (voir la formation à ce sujet). Dans un pays où, selon lui, la réalité locale est primordiale, les différenciations fortes entre territoires justifie la réalisation de diagnostics fins et adaptés à chaque situation, La bonne utilisation de l'investissement public en dépend - et la rapidité de sa dépense, condition d'un impact fort. L'ingénierie territoriale amont apporte des garanties de ce point de vue, défend la Scet dans son Livre Blanc "Ingénierie territoriale : une aubaine pour les territoires (et pour la France)".

De fait, la Scet se consolide résolument comme "un cabinet de conseil", mais décentralisé, et couvrant "toute la chaîne de valeur" du développement territorial depuis la planification et l'ingénierie amont, jusqu'à l'accompagnement à l'opérationnel. La Scet vient de publier son "Livre Blanc" de la situation de l'ingénierie territoriale en France, qui pointe de fortes inégalités dans le pays, et prépare, notamment de ce point de vue, avec Cadre de Ville, une journée consacrée à "l'évaluation extra-financière des projets d'aménagement".

> Voir aussi 14 Juin - Conférence - L'évaluation extra-financière des projets d'aménagement

Cadre de Ville - La Scet publie un diagnostic de l'ingénierie territoriale en France, qui met en évidence que 21 départements sont sous-dotés pour piloter leur développement. Comment interpréter cette publication ?
Romain Lucazeau - C'est une étude et un Livre Blanc. Au fur et à mesure que la Scet parachève sa transformation comme cabinet de conseil, ce qui est une évolution majeure, pour nous qui existons depuis 1955, notre vocation augmente à lever la tête de nos travaux, et puis à produire aussi des éléments de diagnostics et de propositions en termes de politiques publiques.

Ce qui n'était pas historiquement la vocation d'un acteur qui était un lieu de mutualisation pour l'économie mixte, le devient pour une société qui se définit comme le seul acteur 100% public et d'intérêt général du conseil et de l'ingénierie amont en direction des territoires.
Nous l'avons fait sur le tourisme. Nous avons vocation à produire des propos à intervalles réguliers, en partant de ce dont nous faisons l'expérience sur le terrain, en tant que praticiens de l'accompagnement du développement territorial, pour en tirer des enseignements et des recommandations. Nous allons le faire de façon un peu systématique. C'est une pratique classique des cabinets de conseil de produire des Livres blancs, des études ou études de place.

CdV - Sur quels axes d'intervention vous appuyez-vous pour livrer cette étude ?
RL - La Scet est engagée dans un grand nombre de programmes nationaux. Après Action Cœur de Ville nous sommes en plein dans la vague Petites Villes de Demain, et il y en aura d'autres à l'avenir. Procéder par grands programmes d'action territorialisés paraît pertinent au regard des grandes évolutions, des grandes dynamiques de la gouvernance institutionnelle des territoires, pour trouver une articulation entre l'action publique nationale, l'action des grands opérateurs nationaux, et puis les besoins et spécificités des territoires.
Dans ce cadre-là, en 2022, année politique charnière, nous avons voulu faire un point sur l'ingénierie territoriale, dont nous sommes des praticiens, et de plus en plus. Nous nous sommes demandé ce que l'on peut commencer à en dire en termes d'impact.

"L'étude relève un écart entre les 100 milliards d'euros du Plan de relance mobilisés en septembre 2020, les 47 milliards engagés un an plus tard, mais seulement 29 milliards décaissés en octobre 2021. Cet écart est révélateur"

Cela rejoint une préoccupation qui devrait être celle de tous les acteurs publics : comment puis-je factualiser mon impact ? Au-delà de son pilotage par des indicateurs financiers comme toute entreprise, la Scet a vocation à se doter d'indicateurs démontrant l'impact positif de son action, et donc son utilité sociale. Nous sommes un acteur public et cela fait aussi partie du raisonnement. Dans le cadre d'un plan de transformation ambitieux, cette étude est aussi le reflet de notre préoccupation de structurer et d'expliciter notre contribution au développement territorial - ce qui est notre vocation.

CdV - Est-ce un peu aussi un plaidoyer pro-domo ? Vous mettez en évidence dans cette étude un déficit de compétences en ingénierie territoriale. On en arrive donc assez vite à l'offre de services de la Scet. Et pourquoi prendre comme point de départ de l'analyse la mise en œuvre du Plan de Relance, plutôt qu'un autre des "grands programmes d'actions territorialisés" ?
RL - Il faut repartir de la théorie macro-économique, et de l'intention macro-économique sous-jacente au Plan de relance, et à d'autres types d'interventions dans le futur. Le sujet, parmi les différentes façons de stimuler l'économie, c'est la méthode qui consiste à injecter de l'investissement public dans un territoire donné. Le Plan de relance en est une illustration. Ce n'est pas la première, et certainement pas la dernière.

C'est une illustration intéressante, parce que massive, et parce que, sur sa partie territoriale, il est confronté, comme tout programme de financement public, à des enjeux de vitesse de décaissement.
Or, il est bien identifié que la question de la vitesse n'est pas neutre dans les effets d'entraînement d'une politique économique. Ce n'est pas la même chose de déployer un certain nombre de milliards sur une séquence très longue, que d'y arriver sur une séquence plus courte. Les effets d'entraînement ne sont pas les mêmes.

L'étude relève un écart entre les 100 milliards d'euros du Plan de relance mobilisés en septembre 2020, les 47 milliards engagés un an plus tard, mais seulement 29 milliards décaissés en octobre 2021. Cet écart est révélateur.
Le niveau d'impact en investissement public dépend du rythme de décaissement, et aussi de la qualité des projets. Les deux vont ensemble. Si les projets ne sont pas assez qualitatifs, pas assez structurés, pas assez adaptés aux réalités territoriales, l'effet d'entraînement est moindre que si vous financez l'infrastructure nécessaire pour dynamiser le territoire.
De façon caricaturale, il vaut mieux réaliser un petit projet touristique qui va drainer des flux significatifs et relancer une destination, que dépenser beaucoup d'argent pour construire un pont sur une rivière là où il n'y a pas d'autoroutes, ou déjà quatre ponts... Cela semble un peu trivial, mais tout le sujet en découle.

"Les territoires les moins attractifs subissent une double peine"

Nous prenons l'exemple du Plan de relance. Nous aurions pu en prendre un autre. Mais nous voulions ancrer notre réflexion sur des sujets que nous pratiquons, et nous intervenons beaucoup sur des sujets en lien avec le Plan de relance. De plus, c'est le sujet d'actualité en termes d'investissements de soutien aux territoires.
Qu'est-ce qui ralentit la vitesse de décaissement, et donc l'effet positif attendu sur le développement des territoires ? Ce n'est pas la disponibilité du financement, et, au-delà du Plan de relance, on trouve beaucoup de financements disponibles. Ce n'est pas l'absence de projets, car des envies, des élus qui ont une vision pour leur territoire, il y en a. Il y a de l'intelligence dans les territoires.
Ce qui ralentit, c'est que certains territoires sont dotés en compétences et en chefferie de projet qui sont significatives, et que, dans d'autres territoires, c'est plus compliqué - ce n'est pas la seule explication. Il y en a d'autres, techniques, réglementaires, liés aux mécanismes, à la complexité des fonds européens... Mais ce n'est pas notre focale d'intervention, et nous n'avons pas de légitimité pour en parler.
Les territoires où les choses sont plus compliquées subissent en quelque sorte une double peine. Ce sont les territoires qui sont, davantage que d'autres, en panne de stratégie de développement, qui ont des enjeux de positionnement, sur lesquels les bassins d'emploi sont maigres, et souffrent donc d'une situation paradoxale. Il y a à la fois peu de compétences disponibles localement, et il est difficile d'attirer des gens, et, en même temps, ce sont les territoires qui en ont le plus besoin.

CdV - Comment mesure-t-on cette situation ? Vous utilisez notamment la part de professions intellectuelles dans les collectivités territoriales...
RL - Il n'y a pas de bon indicateur. Nous procédons par faisceaux de présomptions. Il nous permet de retrouver des réalités déjà connues en France, et qui sont celles de la diagonale du vide. On met bout à bout un certain nombre de constats.
Dans certaines zones, la disponibilité de professions intellectuelles supérieures est forte, dans d'autres, nous avons fait le constat opérationnellement, dans le cadre d'Action Coeur de Ville, qu'il était difficile de trouver un chef de projet. La Caisse des Dépôts a fait un effort spécifique pour injecter une aide sur ce point. En croisant ces différentes approches qualitatives et quantitatives, nous pouvons qualifier des départements où tout va bien, et des départements où c'est plus compliqué.

"Action Cœur de Ville 2 devrait fonctionner de manière assez différente de la première vague. On y travaille. La question du chef ou de la cheffe de projet va être prise en compte de manière plus systématique"

On retrouve ainsi des formes d'attractivité qui recoupent la diagonale du vide. On a une France à deux vitesses. Une France des métropoles, où la bataille pour les ressources humaines est forte, avec beaucoup de concurrence, mais il y a des gens. Et une France où il y a au moins autant, voire davantage de besoins en transformation des territoires pour être au rendez-vous des grands enjeux de transformations territoriales. Mais on y est en situation de pénurie à plusieurs niveaux, et notamment au niveau qui nous intéresse, celui de la chefferie de projet généraliste capable de sécuriser un projet territorial, quel qu'il soit.

Evidemment, les projets territoriaux appellent des natures de compétences différentes - un projet de mobilité n'est pas un projet de nature touristique -, mais des éléments y sont communs, et liés à la nature territoriale de ces projets : c'est la capacité transversale à animer des acteurs, à les fédérer, à structurer des démarches ordonnées et séquencées dans le temps, la capacité à intégrer des expertises nombreuses et de plus en plus nombreuses car tout se complexifie. On ne fait pas un projet touristique sans des dimensions de transition environnementale, sans prendre en compte des dimensions de mobilité, on ne fait pas une rénovation de centre-ville commercial sans intégrer la dimension touristique, la mobilité, la transition environnementale, la stratégie alimentaire, etc.
Si je simplifie à l'extrême, la chefferie de projet fonctionne bien quand un territoire se dote d'un chef de projet, capable d'aligner la gouvernance, de créer du timing, d'aller chercher des expertises, y compris techniques, d'agréger tout ça dans un plan de vol, et d'ajouter en plus les éléments de diagnostic territorial, de quoi a besoin exactement le territoire, et d'apporter de bonnes pratiques. A la fin le projet est adapté, déployé à sa vitesse propre, parce qu'il emporte l'adhésion. L'ingénierie territoriale, c'est tout cela.

CdV - C'est ce qui a été le levier de Petites Villes de Demain semble-t-il ? La décision de commencer par aider au recrutement d'un chef de projet a été déclencheur.
RL - Oui, c'est déclencheur. C'est une super bonne pratique, c'est vraiment la chose à faire. On n'a pas mis la charrue avant les bœufs, et créé les conditions par lesquelles les projets vont être portés, et avoir une chance significative de sortir de terre. Cette dimension-là a été une vraie réussite.

CdV - C'est donc une réponse en partie aux projets que vous pointez. Mais alors pourquoi ne pas faire la même chose sur Action Cœur de Ville, et prioriser la nomination de chefs de projets ?
RL - Action Cœur de Ville 2 devrait fonctionner de manière assez différente. On y travaille. Cette question du chef ou de la cheffe de projet va être prise en compte de manière plus systématique qu'elle ne l'était dans Action Cœur de Ville 1. On soutenait dans ce programme la chefferie de projet sous forme d'ingénierie amont - et nous y avons beaucoup contribué. On réfléchit maintenant aux voies et moyens pour être capables d'accompagner les collectivités locales le temps d'un projet territorial - qui n'est pas le temps court d'une mission, ce n'est pas trois mois, ni le temps très long d'un projet d'aménagement complet, ce n'est pas dix ans, c'est entre les deux.
Et c'est un entre-deux dans lequel il n'y a pas forcément besoin d'un ETP complet, parce qu'on peut être sur des sujets très granulaires, ce qui implique d'avoir des approches où on est capable de mutualiser la chefferie de projet au sein d'un territoire plus vaste.
Je pense que nous arrivons à un consensus sur ce point. C'est vraiment un des leviers essentiels qui garantit la réussite d'un programme d'action publique territorialisée. Et ce, quel que soient les sujets. Nous parlons d'Action Coeur de Ville et de Petites villes de Demain, mais on regardera aussi les sujets de l'ordre de la transition environnementale, ou des sujets - ce n'est pas un exemple pris au hasard - de rénovation des infrastructures hydriques. L'alimentation en eau pose la question de l'équilibre futur de nos territoires. Le changement climatique est incontournable. Il va avoir des effets sur la disponibilité de l'eau. Avoir de vraies stratégies de gestion de la ressource en eau va être une question.
Cela implique des investissements, et pour qu'ils se passent bien, il faut des capacités en pilotage de projets et d'ingénierie amont. Factualiser le projet, aligner la gouvernance, valider le plan de route et passer à l'acte...

CdV - Cela interroge-t-il les dispositifs mis en place pour la cohésion des territoires ? Faut-il les faire évoluer ?
RL - Nous sommes bien mobilisés par l'ANCT aujourd'hui. Et la question du conseil amont va se poser demain sur d'autres sujets de la même manière que pour Action Coeur de Ville : dans le domaine Territoires d'industrie avec son sous-jacent aménagement, immobilier, mobilisation de foncier.
L'ANCT couvre un champ important, et la question est posée d'une bonne articulation avec la Banque des Territoires sur des missions plus spécifiques, avec l'Ademe, et pas que. L'Anah sur ces sujets n'est pas loin. Et puis au niveau macro, certains sujets sont portés par le SGPI, dont des sujets territoriaux dans des domaines d'innovation.
Nous voulons souligner des propositions pour que la méthode d'investissement public fonctionne mieux.

CdV - Parmi les pistes que vous mettez en avant pour que cela fonctionne mieux, vous avez évoqué la mutualisation de chefs de projets, mais aussi la mobilisation de fonctionnaires d'Etat. Qu'entendez-vous par là ?
RL - Il faut localiser les ressources humaines. Il y en a dans les cabinets de conseil - mais c'est forcément un peu cher car ils internalisent la flexibilité pour le compte de leurs clients.
Dans la sphère Etat, en administration centrale, on trouve beaucoup de gens très forts, qui savent gérer des projets complexes, et pour qui ce pourrait être intéressant de venir passer un peu de temps dans les territoires pour assurer la chefferie de projet. La sphère Etat se cherche sur la possibilité de détacher des fonctionnaires de l'Etat pour piloter des projets structurants pour les territoires.
Certes cela ne s'est jamais fait. C'est un peu provocateur de notre part, et il faut l'environner. Il faut que les fonctionnaires qui le feraient soient en réseau, qu'ils puissent partager l'expérience, être formés, être accompagnés. Et c'est aussi de nature à décloisonner la sphère publique.
Pourquoi pas un projet pilote, où on testerait une nouvelle manière de travailler entre l'Etat, les territoires et les grands opérateurs nationaux ? Cela pourrait être très intéressant.
Au total, on a besoin de peu de monde, pour atteindre un niveau critique d'efficacité, mais on a besoin de gens très qualifiés.



Nous voyons cela à travers nos groupements d'employeurs. Nous animons toujours la communauté des directeurs de Sem, et j'estime que cette activité à but non lucratif a un impact significatif sur les territoires. Une Sem à la direction de laquelle vous installez quelqu'un qui est topissime, a fait le meilleur parcours possible, éventuellement passé par le privé, qui est un vrai manager, et qui va faire de la Sem locale un cheval de guerre, un couteau suisse pour la collectivité locale, ça crée une différence dans le territoire.
Et c'est cette philosophie dont nous proposons que l'on s'inspire en faisant appel à la haute fonction publique d'Etat. People does matter...

CdV - Une autre de vos pistes est la formation. Comment l'installer dans la durée, et notamment dans les territoires "non productifs et non dynamiques" que décrit Laurent Davezies ?
RL - Il me semble qu'il faut un peu changer le raisonnement à ce sujet. Quand on met en place le financement d'ingénierie territoriale, on n'est pas en train d'investir dans un territoire. On est en train de créer les conditions d'un investissement futur. Quelle part de mon futur investissement consacrer à la préparation des conditions de réussite de cet investissement ?
Si le ratio est inférieur à 1%, il me semble que ça vaut le coup. Sur la base de notre expérience récente, nous estimons un effet de levier de 117% pour 1 euro dépensé dans l'ingénierie amont. C'est évidemment variable d'un secteur à l'autre. Dans le tourisme, le ratio est plus bas - le sujet est complexe en ingénierie, pour des montants moyens d'investissement inférieurs. Mais l'effet du tourisme sur un territoire est significatif. Dans des projets plus massifs et plus standardisés, le ratio monte.
Se dire qu'avec 1% de l'investissement futur on garantit une rapidité, une qualité, un effet de benchmark - ce que peuvent apporter les consultants : penser au digital, à l'inclusion... Le fait d'avoir des équipes au niveau national peut être critique à certain moment des projets.
Je le vois dans notre action pour créer des foncières de redynamisation commerciale - et nous en accompagnons beaucoup -, la variété de notre expérience dans une diversité de contextes, urbains, ruraux, à enjeux touristique ou pas, ultra-marins, un peu partout en France, est mise au service de chaque projet.

CdV - La Scet ne répondra pas à tous les besoins. Quel rôle allez-vous jouer comme filiale du secteur concurrentiel de la Caisse des Dépôts ?
RL - Nous avons plutôt vocation à intervenir dans les failles du marché. La Scet accompagne de grands acteurs nationaux et de grandes métropoles, mais la Scet accompagne aussi, de manière très systématique, des territoires et des enjeux non matures, compliqués, en avance de phase par rapport au marché, dans des zones ultra-périphériques, dans des zones très rurales, sur de tout petits projets, et longtemps. La tenue dans la durée est aussi une de nos spécificités.
Par rapport aux autres acteurs de la place, la complémentarité est assez évidente. Ils sont nombreux, à fonctionner sur un modèle qui est aussi le nôtre, nous sommes concurrents, mais parfois nous sommes un peu tout seuls, car nous prenons les choses dans une approche d'intérêt général.
Pour aller dans ce sens, nous avons pris une décision en termes d'organisation de la Scet, un peu aux antipodes de ce qu'on lit dans les manuels d'organisation des cabinets de conseil. Nous avons fait le choix d'une organisation qui n'est pas complètement centralisée. Le Groupe Scet se répartit encore entre une dizaine d'implantations, dont 6 ou 7 majeures (plus de 30 personnes à chaque fois), et nous n'allons pas descendre tellement en dessous.
Une organisation par grands pôles géographiques permet de garantir qu'une collectivité territoriale, une Sem, un bailleur social, même tout petit dans un territoire isolé, trouvera toujours quelqu'un de la Scet. Nous avons rénové la fonction historique de directeur territorial, un par région administrative, qui a vocation à être l'interlocuteur sur son territoire (certes parfois très grand), agrégateur de nos différentes offres.

"L'analyse des territoires est devenue un sujet micro-géographique. Les schémas simples d'interprétation macro des territoires français sont derrière nous - et c'est vrai dans tous les pays de l'OCDE"

C'est un premier élément de différenciation. Le deuxième, c'est le pari de la multiplicité des métiers, alors que le modèle standard d'un cabinet de conseil est un modèle de spécialisation.
Notre modèle, sur environ 300 personnes - à peu près notre étiage aujourd'hui hors directeurs mis à disposition -, c'est de couvrir toute la chaîne de valeur de l'ingénierie amont, et tous les sujets du développement territorial : aménagement, immobilier, transition environnementale, tourisme, mobilités. Nous faisons l'agrégation. C'est notre position de marché. Nous couvrons toute la chaîne, incluant la planification territoriale et jusqu'à la programmation architecturale et l'accompagnement opérationnel.
Le Plan de relance est certes pour nous un sujet important mais ce n'est pas la majorité même de notre seule activité d'ingénierie territoriale.
Sur ce type de programmes intégrés, nous sommes recrutés aux côtés d'autres prestataires comme la brique amont d'un dispositif de programmes d'action aidés dans lesquels on trouve, à côté de l'ingénierie, des financements Banque de Territoires, et d'autres financements éventuels. Mais nos praticiens de l'ingénierie amont dans ce type de programmes se frottent aussi à d'autres types d'intervention. C'est ce qui maintient le niveau d'expertise.

CdV - Comment se préparer aux futurs programmes que l'Etat va déployer demain ?
RL - C'est un énorme enjeu, et une des difficultés de la Scet, difficulté structurelle qui implique que la Scet ait une agilité d'organisation supérieure à celle de ses concurrents privés. Quels que soient les grands programmes nationaux qui seront déployés demain, nous essaierons d'être au rendez-vous, comme appui à l'intérêt général.

CdV - Quel est votre intuition sur les besoins futurs ? besoins d'accélération ? Les programmes répondent-ils au bon niveau à ce qu'ont exprimé les électeurs dans certains territoires, par exemple ce que l'Association des petites villes de France décrit comme un sentiment d'abandon dans les petites villes, les communes rurales, les communes périphériques ?
RL - C'est devenu un sujet micro-géographique. Les schémas simples d'interprétation macro des territoires français sont derrière nous - et c'est vrai dans tous les pays de l'OCDE. On ne peut être en situation d'intervenir dans une commune que sur la base d'un diagnostic très fin car la situation d'une commune n'est pas celle de sa voisine.
Vous avez à la fois des effets de polarité, certes, avec des territoires qui polarisent fortement les dynamiques, et des effets de différenciation territoriale extrêmement forts. C'est pourquoi les grands programmes nationaux sont importants car territorialisés. On part à chaque fois d'un diagnostic territorial. Chacune des Petites villes de demain va être un cas particulier. Il y aura des recettes communes, mais limitées. Les dynamiques démographiques, les dynamiques en termes de transition environnementale, ou en termes économiques, ne sont pas les mêmes. Et elles sont plus hétérogènes qu'il y a quarante ans.
Et demain vont se poser en priorité les façons d'articuler les dimensions d'intervention locale avec deux enjeux : la transition environnementale, moteur de transformation très significative de territoires, d'une part, mais aussi avec le développement économique, d'autre part. C'est à dire que l'intervention que l'on aura faite sera pérenne parce qu'on aura relancé la machine économique du territoire - une machine adaptée à chaque situation. Cela doit devenir un réflexe de toute la sphère publique, pour accompagner un territoire vers sa prise d'autonomie économique. Nous sommes dans des économies "bottom-up", et le dynamisme économique se construira localement, avec les acteurs locaux, et le soutien de l'Etat.
On a besoin de repenser la manière dont on accompagne un territoire systématiquement à l'aune de ces deux enjeux.
Mais la réalité est diverse. Au-delà des territoires dynamiques métropolitains, on rencontre ensuite une typologie de situations extrêmement différentes, dans lesquelles on ne peut rentrer qu'à l'aide de l'analyse multifactorielle. Il faut accepter qu'il n'y ait pas de réponse univoque.
Parmi les quartiers politique de la ville, certains sont dans la dynamique de la métropole et d'autres pas du tout, sans que l'explication se résume à l'enclavement ou la distance. Certains territoires ruraux fonctionnent très bien alors qu'ils perdent de habitants, parce qu'il y a un équilibre économique entre une activité agricole et une industrie de transformation, et d'autres en plein dévissage. Des territoires touristiques sont prospères sur le papier mais s'attendent à beaucoup souffrir du changement climatique, et là il y a urgence.
Les catégories simples comme le PIB par habitants et le taux de chômage doivent être analysés, mais ça ne suffit pas, ni la densité de services, ni la distance à l'hôpital.
Nous avons développé un outil de datas, Citaviz, qui comprend un indicateur composite qui traduit la distance et donc l'accessibilité à toute une série de services et notamment les espaces verts. On essaye de qualifier la qualité de vie. Si cet indicateur est très haut, dans un environnement économique moyen, est-on plus ou moins à plaindre que dans un territoire beaucoup plus dynamique mais complètement enclavé ? Il faut se poser ces questions avec la population, et réaliser des diagnostics micro sur des échelles qui sont toutes petites. A ces conditions, on arrivera à gagner des petites batailles de dynamiques économique et territoriale.

Propos recueillis par Rémi Cambau, Rédacteur en chef de Cadre de Ville, ce 26 avril 2022


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