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Le 15/06/2017 à 17h

Achat public et notion d'opération: attention à ne pas avoir une approche trop extensive

Bien connue des praticiens de l'achat public, la notion d'opération permet, en marchés publics de travaux, d'avoir une approche globale et unifiée d'un projet afin de rassembler les diverses prestations devant y être fournies et éviter ainsi des situations de saucissonnage et donc de contournement des seuils.

Mais, peut être encore davantage que le concept de prestations homogènes pour les fournitures et les services, cette notion d'opération est finalement assez délicate à cerner et suscite des interprétations et mises en application quelque peu étonnantes.

Achat public et notion d'opération: attention à ne pas avoir une approche trop extensive

Quels types de prestations cumuler ?

Le Conseil d'Etat a eu plusieurs fois l'occasion de rappeler que des travaux techniquement différents mais réalisés sur un même site, dans un délai similaire et portant sur un même projet devaient voir leurs montants se cumuler dans le cadre de la détermination du seuil et donc de la procédure de passation du ou des marchés concernés, bien que sa jurisprudence ne soit pas tout à fait linéaire en la matière (voir encart).

L'article 21-I-1 du décret 2016-360 du 25 mars 2016 rappelle que la valeur estimée du besoin pour les marchés publics de travaux est déterminée, "quels que soient le nombre d'opérateurs économiques auquel il est fait appel et le nombre de marchés publics à passer" en prenant en compte la valeur totale des travaux se rapportant à une opération. Jusque-là, pas de difficulté majeure, le texte est en parfaite adéquation avec la jurisprudence précitée; sachant qu'il y a opération lorsque l'acheteur prend la décision de mettre en œuvre, dans une période de temps et un périmètre limité, un ensemble de travaux caractérisé par son unité fonctionnelle, technique ou économique. Mais l'article poursuit en ajoutant "ainsi que la valeur totale estimée des fournitures et des services mis à la disposition du titulaire par l'acheteur lorsqu'ils sont nécessaires à l'exécution des travaux".

Ce sont ces dernières dispositions qui créent une certaine confusion chez les acheteurs. Elles semblent en effet vouloir signifier que, sur une opération donnée - la construction d'un collège par exemple - doivent être cumulés non seulement le montant de tous les marchés de travaux s'y rapportant, mais aussi ceux des marchés de fournitures - achats de matériel, d'énergie... - et de services - d'assistance à maîtrise d'ouvrage par exemple et autres prestations intellectuelles.

Il semble qu'une telle approche soit trop extensive. En effet, les fournitures et services visés par ces dispositions sont ceux que l'entrepreneur aurait dû intégrer dans son propre marché de travaux s'ils n'avaient été mis à sa disposition par l'acheteur. Il ne peut donc s'agir que de fournitures et services intrinsèquement attachés aux travaux et spécifiquement utilisés et réalisés dans le cadre de ces derniers, à l'instar des matériaux, produits ou composants relevant de l'article 26 du cahiers des clauses administratives générales (CCAG).

Le cas de la maîtrise d'œuvre

Ne sauraient donc entrer dans la sphère de l'opération de travaux des prestations, notamment intellectuelles, qui ne s'intègrent pas à ces derniers.

Il en est ainsi des marchés de maîtrise d'œuvre, qui sont par définition distincts des marchés de travaux ainsi que le rappelle la loi MOP du 12 juillet 1985 et répondent à des besoins bien identifiés des acheteurs publics. Ils font l'objet d'une définition particulière à l'article 90 du décret du 25 mars 2016 et ont pour objet, en vue de la réalisation d'un ouvrage ou d'un projet urbain ou paysager, l'exécution d'un ou plusieurs éléments de la mission définie par l'article 7 de la loi MOP. Il ne s'agit en aucun cas de prestations de services que le titulaire du marché de travaux aurait dû intégrer dans son périmètre. Et au-delà de la maitrise d'œuvre, ainsi qu'a pu le préciser une réponse ministérielle du 17 novembre 2009 - JOAN p 10909 -, des prestations comme la programmation, l'AMO ('assistant à maîtrise d'ouvrage), l'assurance, le contrôle technique ou encore la coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs doivent faire l'objet de marchés distincts dont le montant n'a pas à être cumulé même si elles sont toutes en lien avec une même opération de travaux. Et de telles prestations se distinguent elles-mêmes de la maitrise d'œuvre, dès lors qu'elles "ne concourent pas directement à la réalisation de l'ouvrage et obéissent à une logique propre de métier".

Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP
Directeur Scientifique du Cercle Colbert


Le juge et la notion d'opération




Le juge administratif, et notamment le Conseil d'Etat, ont plusieurs fois rappelé leur conception de la notion d'opération de travaux.

Ainsi, des marchés conclus pour la réalisation de trottoirs en quatre endroits d'un même quartier d'une même commune, reposant sur des procédés techniques identiques et ayant fait l'objet d'une publication unique tout en devant être réalisés à des dates identiques et dans des délais similaires, portent sur la réalisation d'une seule opération (CE, 26 septembre 1994, Préfet d'Eure et Loir, req 122759).

De même, deux marchés passés par un syndicat des eaux, l'un pour des travaux d'étanchéité des cuves de châteaux d'eau et l'autre pour des travaux de peinture sur ces mêmes ouvrages, portent sur une seule opération. Le montant global des travaux en cause avait ainsi été artificiellement dissocié, afin de rester en dessous des seuils règlementaires (CE, 8 février 1999, Syndicat Intercommunal des eaux de la Gatine, req 156333).

En revanche, des marchés de rénovation relatifs à quatorze établissements d'enseignement scolaire, tous situés au sein du même territoire départemental et exécutés pendant une même période de vacances scolaires, ne forment pas une seule et même opération (CAA Bordeaux, ord, 2 octobre 2002, Département des Hautes Pyrénées, req 02BX01841). En l'espèce, le juge a notamment tenu compte des spécificités - nature, date de la construction, configuration - de chaque bâtiment concerné pour en conclure que les opérations de rénovation les concernant étaient-elles même propres à chacun d'entre eux, notamment sur le plan technique.

Cette décision rejoint un arrêt plus ancien du Conseil d'Etat - 13 février 1987, M.Y c/Préfet de l'Yonne, req 47971 -, selon lequel deux marchés distincts passés pour la démolition de bâtiments relevant d'un même lycée ne constituent pas une seule et même opération dès lors que ces démolitions' devaient être effectuées à des dates différentes et faisaient appel à des techniques différentes'. La notion d'opération se définit ainsi au cas par cas, au travers d'un faisceau d'indices appelant des décisions circonstanciées et adaptées au contexte d’espèce.

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