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Le 30/11/2017 à 15h

Contrats de gestion provisoire : attention aux abus

Cela fait quelques années maintenant que le Conseil d'Etat reconnait la possibilité aux acheteurs publics de souscrire des marchés publics ou concessions provisoires, suite à la survenance d'un évènement - annulation juridictionnelle, résiliation anticipée, défaillance du titulaire- ayant subitement stoppé l'exécution d'un contrat existant et ne leur ayant pas laissé le temps de finaliser une nouvelle procédure.

Le mécanisme est évidemment tentant mais aussi utile, surtout lorsque l'interruption de la fourniture d'une prestation - enlèvement d'ordures ménagères par exemple - ou de la gestion d'un service de distribution de l'eau - risque de poser d'importants problèmes aux destinataires et usagers concernés.

Une jurisprudence relativement récurrente vient cependant cadrer et limiter les velléités des acheteurs en la matière, qui ont quelquefois tendance à avoir une conception extensive du provisoire.

Contrats de gestion provisoire : attention aux abus

Urgence et continuité

Le Conseil d'Etat a ainsi ouvert une brèche dans les règles de publicité et de mise en concurrence qui s'imposent en matière de passation de conventions de délégation de service public - aujourd'hui concessions : "En cas d'urgence résultant de l'impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son contractant ou de l'assurer elle-même, elle peut, lorsque l'exige un motif d'intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure à titre provisoire un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites"- CE, 4 avril 2016, Communauté d'Agglomération du Centre Martinique - Société Caraïbes développement, req 396191. Les justifications imposées par la haute juridiction sont plutôt strictes : urgence indépendante de la collectivité et nécessaire continuité du service public. Le caractère exceptionnel de cette procédure apparait bien marqué.

Une telle jurisprudence est continue depuis le début des années 2000, et plus particulièrement un arrêt du même Conseil d'Etat qui avait insisté sur la nécessité qu'une telle convention provisoire "se borne à reprendre, dans le seul but d'assurer la continuité du service public, les stipulations du contrat dont la venue à expiration avait justifié la mise en œuvre de la procédure de passation objet du présent litige" - CE, 21 juin 2000, Syndicat intercommunal de la Cote d'Amour et de presqu'ile Guérandaise, req n 209319. On y retrouve l'impératif d'assurer la continuité du service public, le juge y ajoutant l'impossibilité que le contrat provisoire modifie le contenu du contrat d'origine.

Le Conseil d'Etat applique une jurisprudence similaire en matière de marchés publics, en invoquant cependant davantage la notion d'urgence que de continuité. Il se fonde en effet pour cela sur les dispositions applicables à ces contrats, s'agissant plus précisément pour les plus récentes de l'article 30 du décret 2016-360 relatives aux marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence souscrits pour des raisons d'urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour l'acheteur et n'étant pas de son fait. Pour une illustration récente, v.CE, 24 mai 2017, Sté Régal des Iles, req 407213, à propos d'une convention provisoire pour la gestion d'un service public de restauration municipale requalifiée d'affermage en marché public du fait de l'insuffisance de prise en charge du risque d'exploitation par le titulaire.

Bonne et mauvaise foi

Au-delà du contexte propre à chaque affaire, et de la nature du service ou des prestations concernés, le juge s'attache à vérifier le comportement de l'acheteur. S'il a fait preuve de diligence- nouveau terme à la mode en matière de commande publique-, en ayant par exemple rapidement relancé une procédure de marché ou de concession après l'interruption soudaine et imprévisible du contrat en cours d'exécution, il sera davantage amené à légitimer la convention provisoire.
Par contre, il n' hésitera pas à sanctionner la mauvaise foi de l'acheteur, dans le cas par exemple où il n'a pris aucune initiative en vue de lancer une nouvelle procédure alors qu'il a justifié son contrat provisoire par une situation d'urgence impérieuse (CE, Sté Régal des Iles, précité), la durée de 14 mois de ce contrat ne répondant pas de plus à la situation d'urgence ainsi alléguée; ou bien dans celui où il tente de légitimer une situation d'urgence par le fait qu'il avait été tenu de retirer un avenant de prolongation du contrat d'origine , estimant que ledit avenant était entaché d'illégalité; ce que n'a pas confirmé le juge, qui en a conclu que le service public en cause - de fourrière en l'espèce - aurait pu continuer à être exécuté dans le cadre de la prolongation de la convention d'origine et non d'une convention de gestion provisoire conclue sans publicité ni concurrence (CE, CA du Centre de la Martinique, précité).

Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP
Directeur Scientifique du Cercle Colbert


Les risques de la convention provisoire



C'est l'histoire d'un syndicat intercommunal qui, sous la pression du contrôle de légalité, a résilié son marché d'enlèvement et de traitement d'ordures ménagères quelques mois après son début d'exécution. Le temps de relancer un nouvel appel d'offres, une convention provisoire- il est vrai maladroitement qualifiée de transaction - a été souscrite avec le - ou plutôt l'ex- titulaire du marché dans le but d'assurer la continuité des prestations et de pouvoir le rémunérer à cet effet. Le comptable public ayant refusé d'honorer les mandats émis sur la base de ce contrat, le président du syndicat a décidé, chose rare, de le réquisitionner. Mal lui en a pris, car suite à une enquête de la Chambre régionale des comptes, il s'est retrouvé devant la Cour de Discipline Budgétaire et Financière, accusé d'avoir accordé un avantage injustifié au titulaire du contrat provisoire et d'avoir causé un préjudice tant au syndicat qu'au trésor. Alors qu'il pouvait voir sa responsabilité pécuniaire- et donc, par ricochet, politique- engagée, la CDBF a finalement jugé- arrêt du 30 juin 2006, Syndicat intercommunal à vocation multiple de la région d'Etaples sur Mer, n 154-551- qu'il avait pris' avec la diligence exigée par la situation, les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences de l'irrégularité du premier marché et assurer la continuité du service public d 'enlèvement et de traitement des ordures ménagères'. Elle a également émis des critiques à propos des représentants de l'Etat, Préfet et Comptable public, qui, au-delà de leurs décisions contestables, ' ne se sont pas préoccupés des modalités juridiques permettant au syndicat d'assurer la continuité du service public'. Issue positive pour l'élu local, donc, qui a fait ce qu'il a pu, compte tenu du contexte et de ses compétences, pour sauver le service rendu à ses usagers... bien que les huit années qui se sont écoulées entre les faits à l'origine de l'affaire et la décision de la Cour ont dû lui paraître bien longues, notamment au regard de la suspicion voire l'opprobre dont il a fait l'objet pendant tout ce temps.

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