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Le 15/03/2018 à 17h

La distinction marchés publics-concessions est-elle toujours fondée ?

L’architecture de notre droit de la commande publique s’appuie toujours sur la sacro-sainte distinction entre marchés publics et concessions, tant en droit européen qu’en droit interne ; le code de la commande publique attendu ne devant pas déroger à la règle.

On peut s’interroger sur la pertinence du maintien d’une telle distinction, source de complexité alors que leur régime juridique ne cesse de se rapprocher.

La distinction marchés publics-concessions est-elle toujours fondée ?

Une réalité complexe

Les différences susceptibles de justifier cette distinction sont connues. Les marchés publics sont par définition des contrats de prestations, par lesquels l'administration se procure après versement d'une contrepartie et le plus souvent d’un prix auprès d'opérateurs économiques des travaux, fournitures ou services dont elle a besoin pour fonctionner.

La concession, en tout cas telle qu'on l'entendait via la Délégation de Service Public, est un contrat d'un objet d'une toute autre ampleur. Il ne vise pas seulement à fournir des prestations à l'administration mais confie et donc externalise la gestion de tout un pan de ses activités, ce qui n'est pas la même chose en termes d'organisation et de responsabilité. Au sein d'un tel contrat, l'opérateur économique est en relation directe avec les bénéficiaires du service, qui lui versent normalement la contrepartie attendue au regard du service rendu.

Les choses ne sont pas aussi simples dans la réalité, le critère de la contrepartie financière donnée soit par l'administration dans un marché public soit par l'usager en cas de concession étant particulièrement délicat à manier du fait de la multiplication des contrats à rémunération mixte, notamment dans le domaine des cantines ou des transports publics. D'où les tentatives de frontières avancées par la jurisprudence puis les textes, de la rémunération assurée substantiellement par les résultats de l'exploitation au risque économique et financier assuré par le titulaire du contrat, en passant par le critère ô combien dangereux pour la concession de l'usager captif- CE, 24 mai 2017, Société Regal des iles : le nombre d’usagers du service n’étant pas appelé à varier de façon substantielle, la part de risque transférée au titulaire n’implique pas une réelle exposition aux aléas du marché-. On en arrive à des situations ubuesques, où la jurisprudence n'est pas marquée par sa stabilité, comme dans le domaine des contrats d'édition ou des prestations de téléphone, télévision et d'accès internet proposés aux usagers des hôpitaux publics, récemment qualifiées de « service public de la communication extérieure des patients »à rebours de la jurisprudence existante en la matière- CE, 7 mars 2014, CHU de Rouen-.

Et l'avènement des concessions de service après l’ordonnance du 29 janvier 2016 sur les contrats de concession a encore accentué l'inanité de la distinction avec les marchés publics, de même que la difficulté de mettre en place des frontières sures et stables. Ne serait-ce que pour donner un exemple, le cas des contrats de mobilier urbain est particulièrement révélateur de cette difficulté, et le juge va devoir tôt ou tard résoudre la véritable question du caractère déterminant ou non d'un élément comme celui de l'abandon des recettes publicitaires au profit de leur titulaire sur leur qualification en marchés ou concessions – voir addendum-. Quant aux marchés de partenariat, successeurs des contrats de partenariats tant décriés, il parait quelque peu hasardeux de les qualifier automatiquement et par avance de marchés publics dès lors que, en fonction de la part de risque économique et financier pris par leur titulaire, ils pourront aisément basculer dans la sphère des concessions. Tel pourra par exemple être le cas d’un contrat où le titulaire se voit d’une part imposer des objectifs de performances élevés, susceptibles de peser sur sa rémunération versée sous forme de loyer par la personne publique, ainsi que la prise en charge d’activités constituant des recettes annexes dans le but de venir diminuer les loyers ainsi versés.

Quelle justification ?

La question de l'utilité de la distinction se pose avec d'autant d 'acuité que, à y regarder de près, le régime juridique des marchés publics et concessions n’est pas si différent que cela, s'agissant tant de leur passation que de leur exécution, les règles relatives à leurs modifications en cours d'exécution issues des directives de 2014 et de leurs textes de transposition étant par exemple strictement les mêmes. Sous l'influence des derniers textes européens, le droit interne les a même rapprochés, ne serait-ce qu'en termes de critères de choix ou d'information des candidats évincés. Et l'élément-clé qui permettait traditionnellement de les distinguer, à savoir la négociation, qui était la règle en délégation de service public-symbole du fameux intuitu personae- et plus que dérogatoire en marchés publics, a perdu quasiment toute son importance dès lors qu'elle n'est plus que facultative dans les concessions et qu'elle est devenue une vraie alternative-bien que soumise à des critères en vertu de l'article 25 du décret du 25 mars 2016- pour les marchés publics formalisés à côté de l’appel d’offres.

Faire reposer la distinction entre les deux contrats phares de la commande publique sur un critère unique, qui plus est relativement insaisissable, est donc relativement incompréhensible et fait peser une épée de damoclès disproportionnée sur la tête d’ acheteurs publics qui préfèrent à juste titre se concentrer sur l’efficience de leurs contrats et des procédures qui y sont attachées.

FOCUS sur les contrats des mobiliers urbains

Une ordonnance du 10 août 2017 du tribunal administratif de Toulouse, société EXTERION MEDIA a permis d’illustrer la probable évolution de la jurisprudence en la matière.

Etait en cause un contrat de services portant sur la mise à disposition, l’installation, la maintenance, l’entretien et l’exploitation commercial des mobiliers urbains publicitaires et non publicitaires sur le domaine public.

Selon le tribunal, si l’objet du contrat répond bien à des besoins de la commune, le concessionnaire assume l’ensemble des risques d’exploitation et ne peut « pour quel que motif que ce soit, obtenir le versement d’un prix ». De plus, en contrepartie des prestations réalisées, il dispose d’un droit exclusif d’exploitation du mobilier publicitaire et il prend à sa charge tous les impôts et taxes liés au service. Ainsi « le contrat en litige, qui transfert le risque lié à l’exploitation du service en contrepartie du droit d’exploiter le service peut être qualifié de contrat de concession ».

Jean-Marc PEYRICAL
Président de l'APASP
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Directeur Scientifique du Cercle Colbert

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