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Le 25/06/2020 à 18h

COVID-19 et ordonnances marchés publics : et de 4 !

Au 17 juin, ce ne sont pas moins de 62 ordonnances qui ont été publiées pour faire face à l’épidémie du covid-19, preuve de l’activisme du gouvernement pour tenter de faire face à une situation sanitaire, économique et sociale sans précédent.

COVID-19 et ordonnances marchés publics : et de 4 !

Parmi elles, quatre ont concerné la commande publique, la dernière datant justement du 17 juin -ordonnance 2020-738 portant diverses mesures en matière de commande publique. Elle fait suite à celles des 25 mars, 22 avril et 13 mai commentées dans ces colonnes et a pour but, comme les précédentes, de soutenir les entreprises et notamment les PME-TPE dans l’accès à la commande publique et l’exécution des contrats dont elles sont titulaires.

Elle se limite à l’adoption de trois mesures temporaires, et ne comporte pas de dispositions sur des domaines particulièrement sensibles pour les acteurs de la commande publique comme ceux des délais de paiement ou du rehaussement - évoqué récemment mais pour le moment non concrétisé-du seuil des marchés non obligatoirement soumis à des procédures de publicité et de concurrence.

L’extension du quota de PME

Sur le papier, il s’agit d’une mesure phare du fait de son caractère particulièrement dérogatoire aux règles de la commande publique, ainsi que l’avait affirmé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 9 juillet 2007 Syndicat EGF-BTP-req 297711: la fixation d’un nombre minimal de PME admises à présenter une offre constitue une discrimination et méconnait le principe d’égal accès à la commande publique - : l’article 2 de l’ordonnance étend aux marchés globaux de l’article L.2171-1 du code de la commande publique le quota minimal de 10%de PME et artisans à qui seront confiés une part de leur exécution. Et l’acheteur devra tenir compte de cette part d’exécution dans les critères d’attribution de ces marchés globaux.

Est donc étendue aux marchés de conception-réalisation, aux marchés globaux de performance et aux marchés globaux sectoriels- immeubles notamment affectés à la police, la gendarmerie, l’armée, aux établissements pénitentiaires et aux centres de rétention...- le quota de 10% de PME et artisans jusque-là cantonné par l’article R.2213-5 du code aux marchés de partenariat. Il s’agit en l’espèce d’une condition d’exécution du marché susceptible d’être sanctionnée par l’acheteur en cas de non-respect par le titulaire du contrat ; sachant donc que, au-delà de ces 10%, l’acheteur doit aussi prévoir parmi ses critères de choix un critère portant sur cette part que les soumissionnaires s’engagent à confier aux entreprises concernées. Bien évidemment, il conviendra dans ce cas que ce critère soit pondéré avec mesure- 15% par exemple- afin qu’il ne prenne pas une place disproportionnée au regard des autres critères liés à l’objet du marché.

S’agit-il pour autant d’une révolution, notamment au sein des marchés globaux de performance qui ont le vent en poupe- bien plus que les marchés de partenariat sus visés- auprès des acheteurs publics ? Symboliquement sans doute, en pratique évidemment moins. De tels marchés globaux permettent en effet depuis longtemps aux PME et artisans - souvent locaux, cela va sans dire- d’y être associés, et ils comportent pour la plupart des conditions d’exécution- pendant la phase travaux mais aussi exploitation-maintenance- assorties de pénalités à cet effet. On retrouve ici, toute proportion gardée, les mêmes limites qu’avec les dispositions de la loi 2017-256 du 28 février relative à l’égalité réelle outre-mer qui permet aux acheteurs ultra marins de réserver jusqu’à un tiers de leurs marchés à des PME locales...sachant que, sauf peut-être à la Réunion, le tissu économique de ces territoires est quasi uniquement composé de PME-TPE et que les acheteurs locaux n’ont pas attendu l’évolution de la réglementation pour leur confier des contrats de la commande publique, et ce bien au-delà du seuil du tiers fixé par la loi de 2017.

Entreprises en difficulté

Deux mesures leur sont plus particulièrement destinées. La première- article 1 de l’ordonnance- permet aux entreprises en redressement judiciaire bénéficiant d’un plan de redressement de se porter candidates aux contrats de la commande publique. Elles ne peuvent donc être exclues de la procédure de passation des marchés, ce qui constitue une dérogation à l’article L.2141-3 du code, et n’ont pas non plus à se justifier d’avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d’exécution du marché. On peut cependant s’interroger sur leurs chances de réussite à une heure où les acheteurs sont particulièrement vigilants sur la capacité et la solidité de leurs prestataires afin d’éviter tout risque de défaillance en cours d’exécution des contrats...A noter que l’article 38 de la loi 2020-734 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l’UE, elle aussi en date du 17 juin, interdit aux acheteurs de résilier unilatéralement leurs marchés publics dès lors que leurs titulaires sont admis à une procédure de redressement judiciaire, si cette admission intervient avant le 10 juillet 2021.

La seconde mesure-article 3 de l’ordonnance- oblige les acheteurs et autorités concédantes à ne pas tenir compte de la baisse du chiffre d’affaires des opérateurs économiques intervenue au titre du ou des exercices sur lesquels s’imputent les conséquences de la crise due au Covid-19 lorsque leur capacité économique et financière est appréciée au regard justement de leur chiffre d’affaires. Une telle mesure, évidemment louable en soi, pose plusieurs difficultés. D’une part, elle apparaît difficilement compatible avec les dispositions de l’article R 2142-6 du code qui donnent la possibilité à l’acheteur d’exiger que les opérateurs économiques réalisent un chiffre d’affaires annuel minimal, notamment dans le domaine concerné par le marché. Autant ne pas le demander si on ne peut tenir compte d’une baisse qui peut avoir pour conséquence une non atteinte de ce CA minimal. Ensuite, une telle diminution sera sans doute difficile à vérifier : comment savoir par exemple si elle est vraiment due en tout ou partie à la crise issue de l’épidémie du Covid et non pas à des difficultés, par exemple propres à la gestion de l’opérateur, issues d’autres sources ? Enfin, même remarque que celle relative à la mesure ci-dessus évoquée sur le redressement judiciaire : il n’est pas certain que les acheteurs auront envie de confier leurs contrats à des entreprises en situation de fragilité économique...

Temporalité

L’ensemble de ces mesures n’a pas la même durée de vie. Celles relatives au quota de PME-artisans et au redressement judiciaire seront applicables jusqu’à une année après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit aux marchés publics et concessions pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé jusqu’au 10 juillet 2021 inclus, et ce à compter de la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 19 juin dernier. Quant aux dispositions relatives au chiffre d’affaires, elles trouveront à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2023, ce qui correspond peu ou prou à trois exercices d’activité annuelle.

On rappellera que, à côté de cela, l’ordonnance 2020-560 du 13 mai a mis fin aux mesures d’exception- report des délais contractuels, exonération des pénalités de retard...- instaurées par l’ordonnance 2020-319 du 25 mars à compter du 23 juillet prochain ; sachant que les dispositions relatives aux avances sont applicables elles jusqu’au 10 septembre. Sont donc concernés les contrats conclus - envoi de l’avis de publicité - jusqu’à ces dates ; ce qui signifie que de nombreux marchés et concessions continueront à bénéficier de ces dispositions- si tant est que les acheteurs choisissent de les mettre en œuvre- plusieurs mois, voire plusieurs années en fonction de leur durée, après de telles dates.

Les acheteurs devront donc être particulièrement attentifs à ces différents délais et dates, les choses ayant mécaniquement tendance à se complexifier avec l’accumulation, sans doute loin d’être terminée, des textes et tout particulièrement des ordonnances dans un domaine, celui de l’achat public, décidément en constante mouvance.

Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

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