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Le 16/11/2020 à 18h

Loi ASAP : l’environnement et l’urbanisme en première ligne

Sans surprise, le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 novembre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit Asap, par un groupe de plus de soixante députés. Parmi la cohorte de mesures que comporte ce texte, plusieurs dispositions visent à assouplir le droit de l’urbanisme et de l’environnement en vue d’accélérer le développement de projets.

Loi ASAP : l’environnement et l’urbanisme en première ligne

Patricia Savin et Laura Ceccarelli-Le Guen, avocates associées chez DS avocats, déchiffrent les nouveaux équilibres mis en place, aujourd’hui suspendus à la décision des Sages de la rue de Montpensier qui devra intervenir au plus tard le 3 décembre prochain.

Cadre de Ville - Quels sont les objectifs poursuivis par le projet de loi ASAP en matière d’urbanisme et d’environnement ?

Patricia Savin et Laura Ceccarelli-Le Guen - D’un objectif initial de « simplification », le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) comporte désormais en prime un objectif de « relance économique » (lire ici)
Déposé début février 2020, le projet de loi ASAP était la réponse législative aux remontées du grand débat national lancé en janvier 2019, dans le prolongement de la crise des gilets jaunes.

L’enjeu était alors de répondre aux besoins de simplification exprimé par les citoyens. Selon les termes du rapporteur du texte pour l’Assemblée nationale, Guillaume Kasbarian, l’objectif alors annoncé était de : « simplifier le quotidien des Français », de « libérer les Français et les entreprises », pas moins !

Du fait de la crise sanitaire survenue au mois de mars, le parcours législatif du projet de loi fut interrompu pendant plus de six mois. La crise économique en résultant a amené le Gouvernement a déposé des amendements sur ce texte pour « aider à la relance du pays », dixit la ministre chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runachier.

Les objectifs du projet de loi ASAP, examiné en procédure accélérée, ont ainsi évolué dans deux directions : alléger les lourdeurs administratives et stimuler les relocalisations sur les territoires. Le texte comporte, dès lors, des mesures très hétéroclites.

Dans le domaine de l’urbanisme et de l’environnement, les lignes directrices retenues ont consisté à simplifier et sécuriser le droit applicable, en faveur des acteurs économiques. Parmi les mesures adoptées au Titre III du projet de loi peuvent être prioritairement citées les dispositions tendant à :
- stabiliser le cadre juridique et éviter l’application automatique de nouvelles règles du Code de l’environnement à des projets de création d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) dont le dossier est déjà déposé ;
- encadrer l’avis de l’Autorité environnementale en cas d’actualisation de l’étude d’impact à l’occasion d’autorisations successives ;
- simplifier les règles relatives à la participation du public ;
- permettre au préfet de choisir le mode de consultation du public le plus adapté en matière d’autorisation environnementale ;
- autoriser dans certains cas le lancement de travaux de construction avant l’obtention de l’autorisation environnementale ;
- permettre le transfert partiel d’une autorisation environnementale ;
- rendre plus attractif des territoires sur lesquels se trouvent des sites et sols pollués.

CdV - Pourquoi ce texte suscite-t-il de vives polémiques sur son volet environnemental ?

PS et LC - Le texte est qualifié par certains de « texte fourre-tout » d’une « rare disparité », adopté dans la « précipitation », avec un focus trop marqué sur la relance économique (secret des affaires renforcé, assouplissement des règles sur les marchés publics, multiplication des autorisations pour légiférer par ordonnances, etc.).
Et parmi les critiques les plus vives en matière d’environnement, reviennent celles de dérégulation, de « détricotage » du droit de l’environnement, de régression des normes et des principes environnementaux, ou encore du trop grand nombre de prérogatives accordées aux préfets.
Ces critiques nous semblent excessives et non conformes à l’esprit du législateur. En effet, les dispositions adoptées sont issues de retours des acteurs économiques faisant état de difficultés tenant principalement à l’insécurité juridique, à la durée et à la complexité des procédures environnementales. Le projet de loi a certes simplifié certaines démarches, mais il en a renforcé d’autres, notamment dans le domaine des sols pollués.

Concernant la promulgation de la loi, elle est aujourd’hui suspendue dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel qui doit intervenir d’ici le 3 décembre prochain au plus tard : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/affaires-instances?id=32246. Cette saisine était prévisible, au regard des nombreux amendements adoptés au cours du débat parlementaire, notamment en matière de droit de l’environnement.

CdV - Quelles sont les modifications apportées au mécanisme d’actualisation des études d’impact ?

PS et LC - Le texte apporte des précisions importantes sur le mécanisme d’actualisation des études d’impact pour les projets dont la réalisation est subordonnée à la délivrance de plusieurs autorisations (art. L. 122-1-1 III du Code de l’environnement).

Les incidences de ces projets, qui peuvent relever de plusieurs maîtres d’ouvrage, doivent être appréciées lors de la délivrance de la première autorisation. A l’occasion des autorisations ultérieures, l’étude d’impact doit, le cas échéant, être actualisée par le maître d'ouvrage dans le périmètre de l'opération objet de l'autorisation sollicitée, puis soumise pour avis à l’autorité environnementale ainsi qu’aux collectivités et leurs groupements intéressés, et portée à la connaissance du public.

Ce mécanisme est précisé sur trois points. D’une part, les avis précités doivent porter sur l’étude d’impact ainsi actualisée dans le cadre de l’autorisation sollicitée, et ne peuvent donc pas revenir sur les autorisations déjà délivrées. D’autre part, les mesures pour éviter, réduire et compenser les incidences négatives notables du projet ne peuvent être prescrites qu’au(x) maitre(s) d’ouvrage de l’opération concernée par la demande. Enfin, la saisine des collectivités territoriales et leurs groupements au titre de l’autorisation environnementale vaut également au titre de l’actualisation.

La portée pratique de ces dispositions dépasse les seuls projets industriels et simplifiera la réalisation de l’ensemble des opérations d’aménagement. Mais les maîtres d’ouvrage devront veiller à apprécier les impacts de leur opération à l’échelle globale de projet, afin d’éviter le risque de saucissonnage vivement dénoncé lors des débats parlementaires. Et il faudra clarifier les modalités de prescription des mesures transversales et ou relatives à des impacts cumulés nouveaux.

CdV - Les règles renouvelées de démocratie environnementale sont-elles les bienvenues pour les opérateurs ?

PS et LC - Le texte modifie sur plusieurs points les règles applicables en matière de participation du public.

D’abord, il met fin à des difficultés notables d’articulation entre la procédure de concertation obligatoire au titre du Code de l’urbanisme et celle au titre du Code de l’environnement :
- en créant la possibilité pour un maître d’ouvrage dont le projet comporte des composantes relevant de ces deux types de concertation, de choisir de soumettre l’ensemble du projet à concertation avec garant, dans les conditions prévues par les articles L. 121-16 et L. 121-16-1 du Code de l’environnement, et avec l’accord de l’autorité compétente pour mener la concertation au titre du Code de l’urbanisme.
- en soumettant l’ensemble des procédures d’évolution des SCOT et des PLU (révision, mise en compatibilité et modification), soumises à évaluation environnementale, à la concertation prévue par le Code de l’urbanisme, alors qu’auparavant les mises en compatibilité relevaient de celle du Code de l’environnement, tandis que les modifications échappaient à tout forme de concertation. Il convient également de relever que, désormais, les PLU seront systématiquement soumis à évaluation environnementale.

Ensuite, le texte réduit à deux mois le délai pour exercer le droit d’initiative, tout en renforçant la diffusion de la déclaration d’intention auprès des collectivités locales et des associations.

Par ailleurs, le projet de loi remplace, pour les autorisations environnementales, l’enquête publique par une procédure de participation par voie électronique pour les projets non soumis à évaluation environnementale (environ 1/3 des dossiers selon l’étude d’impact du projet de loi), sauf si le préfet considère qu’une enquête publique (pouvant être réduite à 15 jours) demeure nécessaire en raison de ses enjeux environnementaux, socio-économiques et en termes d’aménagement du territoire. Cette disposition, très critiquée, permettrait de gagner deux à trois semaines quant à l’avancement des projets.

CdV - En quoi consiste l’exécution anticipée de travaux avant la finalisation de l’instruction de l’autorisation environnementale ?

PS et LC - Une des nouveautés très attendue du texte est la possibilité pour le pétitionnaire de demander à exécuter des travaux autorisés par un permis de construire ou d’aménager ou une déclaration préalable, avant la délivrance de l'autorisation environnementale.

Cette possibilité, susceptible de faire gagner plusieurs mois sur le planning d’un projet industriel, est cependant strictement encadrée. Elle est exclue lorsque les travaux nécessitent une décision au titre des législations spéciales intégrées dans l’autorisation environnementale (dérogation au titre des espèces protégées, défrichement, etc.) ou une autorisation au titre de la loi sur l’eau. Elle doit également avoir été portée à la connaissance du public, soit dans le cadre de la procédure de participation relative à l’autorisation environnementale, soit dans le cadre de la procédure propre à l’autorisation d’urbanisme lorsque son anticipation a été autorisée pour favoriser la bonne réalisation du projet. Enfin, elle nécessite une décision spéciale motivée du préfet désignant les travaux dont l’exécution peut être anticipée, prise après qu’il a eu connaissance de l’autorisation d’urbanisme, après un certain délai (qui sera fixé par décret) et après la fin de la consultation du public.

Surtout, le pétitionnaire doit supporter les frais et les risques de cette procédure dérogatoire, notamment celui de se retrouver avec un bâtiment inexploitable en cas de refus de l’autorisation environnementale.
Pratiquement, ce mécanisme relativement complexe, concernera essentiellement les projets sur des zones déjà artificialisées.

CdV - Les modifications introduites en matière de sites et sols pollués vont-elles réanimer ces fonciers souvent délaissés ?

PS et LC - Oui, clairement, via l’introduction de trois mesures majeures :
- obligation pour l’exploitant d’une ICPE, soumis à autorisation ou enregistrement, d’obtenir en fin d’activité d’une entreprise (certifiée dans le domaine des sites et sols pollués) une attestation justifiant « de la mise en œuvre des mesures de mise en sécurité, ainsi que de l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site, puis de la mise en œuvre de ces dernières » ;
- possibilité donnée au préfet de fixer un délai contraignant de mise en œuvre des mesures de mise en sécurité et réhabilitation après cessation d’activité ;
- possibilité de transférer sur un tiers la procédure de tiers demandeur obtenue. Créé par l’article 173 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ce dispositif dit « tiers demandeur » vise à faciliter et sécuriser la réhabilitation des friches industrielles, en permettant au préfet de prescrire a? un tiers (qui en fait la demande) les obligations de réhabilitation d’une ICPE en substitution du dernier exploitant.

Pour des aménageurs, ce mécanisme permet d’encadrer les coûts et de diriger l’ensemble des opérations de réhabilitation pour l’usage futur réel dudit foncier. En permettre le transfert à un nouveau tiers doté des compétences et capacité techniques financières ne peut que permettre un développement de la procédure de tiers demandeur.

En complément de ces mesures, il convient de signaler que dans le cadre du Plan de relance, l’Ademe se voit allouer une enveloppe de 40 millions d’euros pour aider à la reconversion des friches industrielles.

Autant de leviers qui viennent également répondre, en partie, à l’objectif de zéro artificialisation nette, porté par le gouvernement.

Propos recueillis par Sophie Michelin-Mazéran, journaliste juridique Cadredeville.com

Pour le volet commande publique de la loi, voir aussi :
www.cadredeville.com/announces/2020/10/28/loi-asap-2013-importantes-modifications-en-matiere-de-commande-publique



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