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Le 17/04/2023 à 10h

Les courts de tennis du Luxembourg : retour sur un acte manqué

La société Paris Tennis et son responsable Hervé Picard, dont le portrait a récemment été tracé au sein d’un quotidien sportif dont le renom n’est plus à faire, ont donc de nouveau fait parler d’eux.

Bien connus des prétoires administratifs depuis bientôt 20 ans, n’hésitant pas à contester toute attribution publique de courts de tennis non précédée de procédures de publicité et de concurrence, ils viennent d’obtenir une victoire d’autant plus majeure devant le Conseil d’Etat qu’elle était plutôt inattendue.

Les courts de tennis du Luxembourg : retour sur un acte manqué

Ce d’autant que tant le tribunal administratif que la Cour Administrative d’appel de Paris - par deux fois pour cette dernière qui plus est, le Conseil d’Etat ayant annulé son premier arrêt en 2020 - ne leur avait pas donné raison.

La Haute Juridiction a ainsi prononcé la résiliation de la convention d’occupation des courts de tennis du Luxembourg accordée par le Sénat en 2016, occupation qui aurait justement dû être précédée d’une procédure de publicité et de concurrence. La résiliation ayant pris effet au premier mars dernier, ceci explique la fermeture des courts depuis cette date, au grand dam des habitués des lieux et des clubs qui avaient l’habitude d’y pratiquer leurs activités.

Victoire importante donc pour la société requérante dont c’est donc le fer de lance depuis longtemps, mais peut-être victoire à la Pyrrhus dès lors qu’elle ne la garantit bien évidemment pas - au contraire ? - d’être attributaire du futur contrat d’exploitation…

L’arrêt rendu le 2 décembre - date historique symbolique - apparaît cependant quelque peu alambiqué. Le Conseil d’Etat a en effet exhumé des dispositions de la directive Services 2006/123/CE du 12 décembre 2006, et plus particulièrement de son article 12, afin de considérer que l’activité d’exploitation des cours de tennis était une activité de services et non un service d’intérêt général non économique. En autorisant l’occupation d’une partie du jardin du Luxembourg, qui appartient au domaine public, le Sénat devait ainsi être regardé comme exerçant un rôle de contrôle ou de règlementation, et donc comme une autorité compétente ayant délivré une telle autorisation. De plus, les courts de tennis en cause, en nombre limité et au vu de la faible disponibilité des installations comparables dans la capitale et notamment dans son centre, doivent être considérés comme faiblement substituables pour un prestataire offrant un service de location de courts de courts de tennis sur ce territoire.

En conséquence, et contrairement au bail emphytéotique souscrit pour la gestion de l’hôtel du Palais à Biarritz qui a fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’Etat du même jour, l’autorisation d’occupation des terrains de tennis du Luxembourg aurait dû être précédée d’une procédure de publicité et de mise en concurrence; ce d’autant que, comme le précise l’arrêt, la ligue de tennis de Paris n’est pas le seul attributaire possible d’un tel titre d’occupation malgré son statut spécifique en tant que délégataire de la Fédération Française de Tennis.

Un tel arrêt ne marque-t-il pas une sorte de désaveu du Conseil d’Etat ? Le contrat en cause avait en effet été souscrit avant le fameux arrêt Promoimpresa du 14 juillet 2016 de la CJUE et les nouvelles obligations de publicité introduites dans le CGPPP par l’ordonnance du 19 avril 2017. On aurait donc pu s’attendre à une solution du type de celle rendue par l’arrêt Jean Bouin du 3 décembre 2010…de l’eau a bien sur coulé sous les ponts depuis, le Conseil d’Etat ayant tenu compte - en l’appliquant rétrospectivement - de l’évolution du droit depuis cette date. Et donc, exit la solution pourtant claire et ferme de cet arrêt Jean Bouin en vertu de laquelle aucun principe ni aucun texte n’imposait une mise en concurrence des conventions d’occupation domaniales. Dans sa décision de décembre 2022, le juge a en quelque sorte trouvé une solution intermédiaire, s’appuyant sur la directive service de 2006 pour prendre, 12 après, un virage radicalement différent de celui de 2010.

On peut bien sûr s’interroger sur l’application de règles de publicité et de concurrence à la gestion pour 15 années de 6 courts de tennis avec des tarifs limités afin d’en permettre le plus large accès à tous et dont l’impact en termes d’activité économique au sein d’un territoire de plusieurs millions d’habitants est sans doute discutable; alors qu’un tel impact a été dénié à un ensemble hôtelier exploité lui sur une durée de 75 ans, dont la place et l’importance tant historique qu’actuelle au sein d’une cité balnéaire comme Biarritz sont tout autre…

Le Sénat se serait-il aussi désavoué dans cette affaire ? Alors que le Conseil d’Etat n’a pas qualifié de concession de service le contrat des tennis du Luxembourg, le nouveau contrat qu’il a lancé depuis est bien une telle concession. Reconnaissance posthume d’une erreur de qualification sur le contrat passé ? Volonté d’aller au-delà de la décision du juge, de se positionner comme bon élève et de se sécuriser au maximum en cas de nouveau recours ? Peut-être un peu de tout cela…

Toujours est-il que, et au-delà des arguties liées aux interprétations de la directive Services, on peut légitimement se poser question sur la nature du contrat sanctionné en décembre. S’agit-il d’une convention d’occupation domaniale ou d’une concession, ce qui n’est pas la même chose tant en termes de régime de passation que de sanction, notamment pénale, en cas de non-respect des règles découlant du régime applicable ?

Le contrat pour l’exploitation des 6 courts de tennis du Luxembourg relevait il lors de sa passation en 2015, pour une signature en janvier 2016, du champ de la commande publique ? Son titulaire peut-il être considéré comme répondant aux besoins du Sénat, ce qui devrait se traduire par une maitrise de ce dernier sur les conditions d’exploitation dans le sens de la jurisprudence UGCC - 5 octobre 2007, n°298773. Maitrise qui n’a d’ailleurs pas besoin d’être trop exacerbée dès lors que la présence d’une mission de service public n’est pas - n’est plus - nécessaire pour qualifier un contrat de concession de service.

Comme souvent, tout est affaire d’indices, mais aussi de complétude de pièces. Un des indices principaux, lié au contrôle du Sénat sur les tarifs des locations de courts, se trouvait ainsi dans une des annexes au contrat. Annexe qui n’a pas été produite dans sa totalité par le Sénat. Cette fameuse annexe a donné lieu à d’intenses discussions tant écrites qu’orales devant toutes les juridictions ayant eu à traiter cette affaire, la Société Paris Tennis en faisant un élément essentiel de sa démonstration en la faveur de la qualification en contrat de la commande publique. Mais le Conseil d’Etat a gardé le silence sur la question de cette annexe contractuelle incomplète, se contentant des seuls éléments produits par le Sénat.

Du coup, et même si le contrat en lui-même contenait des dispositions - objectifs à atteindre, continuité du service, accès au public le plus large, développement et promotion du sport, obligation de suivre sans retard les recommandations de quelque nature que ce soit - qui traduisaient une maitrise certaine de l’exploitation des courts par le Sénat, il n’a pas été qualifié de concession de service. Mais si le Conseil d’Etat avait accédé à une telle qualification, les acteurs du contrat seraient entrés dans le champ du pénal et du délit de favoritisme de l’article 432-14 du code pénal, ce qui est une autre histoire…

Au final, Jean Bouin se répète… Et de nouveau, une qualification contractuelle - pourtant évidente à partir d’un dossier s’il avait été complet - est évitée de même qu’une qualification pénale. Il est sans doute dommage que, pour une histoire de pièce et donc de preuve manquante, le Conseil d’Etat ne soit pas allé au bout d’une analyse qui aurait dû conduire, avec toutes ses conséquences induites, à la présence d’un contrat de la commande publique. C’est d’ailleurs la leçon qu’en a tiré le Sénat, et la portée symbolique en est très forte, en lançant une procédure pour l’octroi d’un contrat non pas d’occupation domaniale mais de concession de service.

Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

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