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Le 03/11/2016 à 19h

Pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, entre unité et diversité

L'ordonnance du 23 juillet 2015 et son décret d'application du 25 mars 2016 utilisent la notion générique d'acheteur public pour identifier la ou les autorités chargées de préparer, passer et exécuter les marchés publics au sein des structures publiques et para publiques qui relèvent de leur champ.

On peut du coup s'interroger sur le devenir des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, concepts auxquels on commençait à s'habituer sans toutefois toujours bien les comprendre et les utiliser à bon escient.

Pourtant, tant l'ordonnance que le décret continuent à les utiliser ici et là, preuve de leur persistance...et donc de leur juxtaposition avec le ou les acheteurs publics, ce qui ne va sans doute pas simplifier la lecture et la mise en œuvre de ces textes.

Pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, entre unité et diversité

Droit européen oblige

Il existe toujours deux directives marchés publics distinctes, l'une relative à la passation des marchés publics disons classiques (la 2014/24/UE) et l'autre à la passation des marchés par les entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (la 2014/25/UE). La première concerne les pouvoirs adjudicateurs et le deuxième les entités adjudicatrices, qui sont donc traités par deux textes distincts. Par synthèse, les entités sont des pouvoirs adjudicateurs (eux-mêmes personnes morales de droit public, ou de droit privé avec mission d'intérêt général et financement principal par fonds publics du type sociétés d'économie mixte) qui exercent des activités d'opérateurs de réseaux. Il peut aussi s'agir d'entreprises publiques voire d’opérateurs privés titulaires de droits exclusifs et spéciaux. Autant dire que la liste des entités est très large, de la commune qui gère en régie directe la distribution de son eau potable à la communauté d'agglomération qui exploite un service de transport de voyageurs en passant par des structures du type SNCF ou EDF mais aussi, sans exhaustivité aucune, les chambres de commerce et d'industrie qui gèrent des ports ou aéroports.

Jusqu'à présent, tant dans le code des marchés 2006 que dans l'ordonnance du 6 juin 2005 applicable aux pouvoirs et entités ne relevant pas dudit code, les marchés passés par les entités adjudicatrices étaient traités distinctement de ceux des pouvoirs adjudicateurs, et bénéficiaient d'une souplesse plus importante, notamment dans leur passation.

Dans l'ordonnance et le décret, ce traitement différencié a formellement disparu et, en première lecture en tout cas, les mêmes dispositions s'appliquent uniformément tant aux pouvoirs qu'aux entités. L'effet "acheteur public" a-t-il gommé toutes les spécificités procédurales qui caractérisaient les marchés publics de ces dernières, et est-il toujours nécessaire d'opérer une telle distinction pouvoirs-entités?

Une uniformisation non aboutie

Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices se retrouvent donc soumis aux mêmes textes, et se voient appliquer des règles quasi- similaires s'agissant de la définition du besoin et des modalités de calcul de sa valeur, des formalités et supports de publicité, de la dématérialisation complète pour octobre 2018, des critères de choix, des variantes, des offres anormalement basses, de la transparence envers les candidats à l'issue des procédures ou encore des marchés de maîtrise d'œuvre et des marchés globaux tant de performance que de partenariat...sans oublier le seuil de 25000 euros, qui offre un espace de liberté à certaines entités qui n'en avaient pas l'habitude.

Une telle unicité n'est cependant pas totale, plusieurs articles de l'ordonnance et surtout du décret faisant perdurer des spécificités au profit des entités adjudicatrices. S'agissant par exemple de l'allotissement, le principe s'impose à tous les acheteurs, ce qui est d'ailleurs totalement nouveau pour les entités. Mais la motivation du choix du non allotissement doit figurer, pour les marchés formalisés, dans les documents de consultation ou le rapport de présentation pour les pouvoirs, alors qu'elle doit simplement faire partie des informations que les entités doivent conserver...ce qui n'est pas tout à fait la même chose en termes de transparence et de communication.
Autre exemple, la procédure concurrentielle avec négociation utilisable par les pouvoirs devient procédure négociée avec mise en concurrence préalable pour les entités, qui bénéficient en application de l'article 74 du décret d'un régime particulièrement souple dès lors qu'elles sont libres de choisir entre cette procédure, le dialogue compétitif et l'appel d'offres. La négociation devient ainsi une vraie alternative à ce dernier pour les entités, alors que les pouvoirs doivent remplir des conditions spécifiques pour l'utiliser. Autre souplesse pour les entités: le délai de réception des candidatures dans le cadre de cette procédure est de 15 jours, contre 30 pour celle applicable aux pouvoirs.
On retrouve aussi des délais réduits pour d'autres marchés des entités, en appel d'offres restreint où le délai minimum de réception des candidatures est là encore de 15 jours contre 30 pour les pouvoirs; et où les entités ne se voient pas imposer de délai minimum de réception des offres, alors que l'on retrouve à nouveau 30 jours pour les pouvoirs.
Par ailleurs, les entités adjudicatrices continuent de disposer d'un outil qui est proscrit pour les pouvoirs adjudicateurs, et que beaucoup d'entre eux aimeraient pouvoir utiliser: le système de qualification d'opérateurs économiques, qui leur permet de présélectionner des candidats jugés aptes à réaliser une prestation donnée.

On retrouve ici et là d'autres éléments de souplesse au profit des entités, s'agissant notamment des accords-cadres dont la durée peut aller jusqu'à 8 ans...contre 4 pour les pouvoirs. Les entités sont également moins contraintes pour la passation de leurs marchés subséquents, et notamment leur mise en concurrence, que les pouvoirs.

A côté de ces caractéristiques propres aux entités, on peut noter un changement notable pour elles: les marchés publics relavant de l'ordonnance et de son décret d'application étant des contrats administratifs de par la loi, dès lors bien sûr que le critère organique (présence d'une personne publique) est rempli, certaines entités à l'instar des Etablissements publics industriels et commerciaux de l'Etat ne pourront plus choisir leur juridiction compétente en cas de contentieux en fonction de la présence ou non de clauses exorbitantes dans leurs marchés. Il s'agit là d'un des symboles de cette uniformisation des règles et procédures de marchés publics entre les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices, en l'espèce au profit du juge administratif qui va donc voir son champ d'intervention mécaniquement s'élargir.

Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associé
Président de l'APASP (Association pour l'Achat dans les Services Publics)

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