Les acheteurs publics sont souvent confrontés non pas seulement aux offres anormalement basses mais aux offres au contraire trop élevées au regard de leur estimation initiale.
Un tel dérapage peut d’ailleurs résulter d’une estimation justement mal effectuée, d’un cahier des charges pas suffisamment adapté à la réalité économique du marché ou encore à une concurrence insuffisante dont pourrait profiter un opérateur donné.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les acheteurs publics disposent de plusieurs solutions pour gérer ces offres inacceptables, et ce même dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres.
En vertu de l’article L.2152-3 du Code de la Commande Publique, une offre inacceptable est une offre « dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ». Une offre inacceptable doit donc être distinguée d’une offre irrégulière (qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation) ainsi que d’une offre inappropriée (offre sans rapport avec le marché).
Une offre ne peut cependant être automatiquement déclarée inacceptable au seul motif que son prix est supérieur au montant estimé du marché. Ainsi, si une offre ne correspond pas au budget annuel de l’acheteur, celui-ci peut toujours être en mesure de la financer et donc lui attribuer le marché (CE, 24 juin 2011 OPH de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, Req 346665 ; réponse du Ministère de l’Economie et des Finances, JO Sénat 21 septembre 2016, pages 40-58).
Selon l’article R.2152-1 du Code de la commande Publique, les offres trop chères et donc inacceptables ne peuvent devenir acceptables que si elles peuvent faire l’objet de négociations ou de discussions. On pourrait donc penser que cela ne peut être le cas dans des procédures comme le MAPA sans négociation ou l’appel d’offres où elles devraient être purement et simplement éliminées.
Mais, en application du Droit européen et plus particulièrement de l’article 26 de la directive 2014/ 24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, les acheteurs publics peuvent cependant souscrire dans ce cas une procédure avec négociation. Ainsi, en vertu de l’article R. 2124-3 du Code de la Commande Publique, un pouvoir adjudicateur peut passer des marchés selon cette procédure lorsque, dans le cadre d’un appel d’offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées. Et l’article précise que « le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de publier un avis de marché s’il ne fait participer à la procédure que le ou les soumissionnaire (s) qui ont présentés des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l’appel d’offre ». Ainsi, si l’offre est régulière et correspond aux besoins et attentes figurants dans le cahier des charges, il apparait tout à fait possible de négocier avec l’opérateur qui en est à l’origine (ou avec les opérateurs s’ils sont plusieurs).
Le paradoxe est là : on ne se situe pas dans un cas de marché négocié sans publicité ni concurrence (articles R. 2122-1 à R.2122-9 du Code) mais de procédures avec négociation… sans publicité ni mise en concurrence préalables ; ce qui, peu ou prou revient en pratique globalement au même. Il reste qu’il s’agit, en l’espèce d’un nouveau marché, distinct de l’appel d’offres initial même s’il peut être passé sans formalités.
A noter que l’article R. 2124-3 du Code précise que les négociations ainsi menées ne peuvent conduire à ce que les conditions initiales du marché soient substantiellement modifiées.
En d’autres termes, les négociations en cause ne devront ni modifier de manière trop importante le cahier des charges initial du marché ni conduire à une évolution trop marquée de son objet, de son périmètre ou encore de son prix ; ce qui est bien évidemment le cas au titre de toute négociation dans les marchés publics.
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical et Sabattier Associés
Président de l’APASP
Achat et commande publics : on continue de vivre une époque formidable
Les années passent et se ressemblent… cette nouvelle année qui s’ouvre pour la commande publique s’accompagne, comme toujours, d’interrogations sur ce qui attend les acheteurs et la sauce à laquelle ils vont pouvoir être mangés. Les deux décrets 2024-1217 et 2024- 1251 publiés les 28 et 30 décembre derniers ont à la fois clôturé l’année passée et donné le la pour celle à venir : l’évolution des textes est et va rester constante, un peu comme un pendule de Foucault et son éternel mouvement. Bien sûr, dès lors que ces évolutions sont motivées par des intentions louables, comme celle de la simplification des règles, elles ne sont pas contestables en soi ; même si on a ici et là la désagréable impression qu’on a de plus en plus tendance à s’éloigner de l’acte d’achat proprement dit, avec ses objectifs d’efficacité et de bonne gestion de l’argent public, au bénéfice d’autres objectifs dont celui de la protection de l’environnement et du développement durable.
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L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
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