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Le 18/01/2024 à 17h

2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS

L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public.
Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche.

Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques.

Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…

2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS

LE NUAGE EUROPÉEN

Paradoxalement, la fin de l’année écoulée n’a pas été sans soubresauts au niveau de la commande publique européenne. La Cour des comptes européenne a en effet sorti un rapport au vitriol sur l’application des directives marchés et concessions de 2014, qui freineraient la concurrence plus qu’elle ne la favoriserait et auraient par conséquent un impact négatif sur ses principes et objectifs affichés.

Dans son rapport spécial 28/2023- marchés publics dans l’UE, la Cour des comptes met ainsi en avant un recul de la concurrence pour les contrats de travaux, de biens et de services passés entre 2011 et 2021 qui représentent 14% du produit intérieur brut des 27 États de l’UE et quelque 250.000 pouvoirs adjudicateurs.

Pourtant, selon elle, la sélection des entreprises les plus performantes ne peut que contribuer à entretenir la compétitivité des marchés et à préserver l’intérêt public.

Or, certains des principaux objectifs des directives de 2014 mises en œuvre pour garantir la concurrence- à savoir simplifier et raccourcir les procédures de marchés publics, leur temps de passation ayant augmenté de moitié en 10 ans, et par là même améliorer l’accès des PME- n’ont pas été atteints et que d’autres risquent même de la réduire.

Pour la Cour, le rôle essentiel de la concurrence comme condition nécessaire à l’optimisation des marchés publics est largement méconnu, la commission et les États membres n’ayant pris que des mesures sporadiques pour inverser la tendance dans les marchés publics.

Au vu des données- loin d’être exhaustives et exactes- disponibles dont elle a pu disposer, la Cour relève une augmentation globale significative des marchés à soumissionnaire unique, un niveau élevé d’attribution directe des marchés dans la plupart des États membres et un faible nombre des marchés publics transfrontaliers entre eux…la France étant sur ce dernier point située en toute fin de peloton… Et les aspects stratégiques- environnement, conditions sociales, innovation…- apparaissent rarement pris en compte dans les appels d’offres publics.

Donc au final le tableau est plutôt sombre: trop peu de concurrence, des procédures longues et lourdes, un manque de transparence tant au niveau de la passation que de l’exécution, une utilisation stratégique de la commande publique finalement très limitée, une attribution systématique au moins disant trop présente au sein de la plupart des États membres…et peu de motivation tant du côté de la commission que de ces derniers pour améliorer une situation qui s’est manifestement dégradée au fil du temps.

QUELLES ÉCLAIRCIES À VENIR ?

Les directives de 2014, sans être inutiles, auraient-elles ainsi fait la preuve de leur relative inefficacité ? Doit-on conclure la même chose s’agissant de leurs textes de transposition, et donc du code de la commande publique applicable chez nous ?

La réponse de la commission européenne, qui accepte bien évidemment de prendre en compte les remarques et recommandations de la Cour, semble en tout cas augurer d’une refonte des directives de 2014 afin de moderniser le cadre juridique de l’achat public, d’accélérer sa numérisation, de prévoir des procédures plus simples et une utilisation davantage stratégique des marchés publics.

Rappelons que les objectifs affichés par les directives de 2014 étaient déjà de « moderniser les textes existants pour accroître l’efficacité de la dépense publique, en facilitant notamment la participation des PME aux marchés publics, et pour permettre aux acheteurs de mieux utiliser l’instrument des marchés publics au service d’objectifs sociétaux communs » -préambule de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014.

Quelle est donc la marge d’amélioration des rédacteurs des textes, qui risquent purement et simplement de répéter même sous des formes différentes des principes et objectifs - moderniser, simplifier, rendre plus transparent, participer au développement durable…- qui existent en fait depuis bien des années et peuvent finalement donner l’impression de sonner creux ?

Tous les acheteurs d ‘Europe et même du monde - les principes et objectifs de la commande publique étant peu ou prou universels- sont sans doute d’accord sur le fait que l’achat public doit être transparent, efficace en terme d’utilisation de deniers publics, qu’il doit permettre une réelle compétitivité entre acteurs économiques et être un levier au service de politiques publiques diverses et variées…

Mais, et le rapport de la Cour des comptes européennes, même limité aux marchés publics formalisés et sans traiter des concessions, le démontre pleinement, il y a ici comme ailleurs un décalage entre les vœux pieux des rédacteurs des textes et la mise en œuvre de ces derniers.

Cela apparaît en filigrane dans le rapport de la Cour mais les directives marchés - et concessions- , et par la même leurs textes de transposition, sont finalement assez méconnues par bon nombre d’acheteurs qui n’utilisent pas suffisamment tous les rouages et les ressources qu’elles offrent.

L’exemple des critères de choix - et de leur pondération- est symbolique du phénomène. Aller plus loin que le critère prix, trop souvent sur pondéré, et les critères valeur technique et délai d’exécution serait déjà un grand pas franchi pour les acheteurs.

Coût du cycle de vie, service après-vente, conditions de livraison, innovation, conditions de production et de commercialisation, biodiversité, sécurité des approvisionnement, expérience du personnel assigné à l’exécution du marché…qui utilise vraiment la liste - qui plus est non exhaustive - de la bonne vingtaine de critères proposée par les textes - article R2152-7 du code de la commande publique nous concernant- ? Et il en est de même s’agissant des critères sociaux et environnementaux, finalement peu usités selon le rapport de la Cour des comptes européenne…Effectivement, même si cela évolue plutôt rapidement - loi climat et résilience du 22 août 2021 oblige , qui ne nous laissera pas la choix d’ici deux ans - la part des marchés en France comportant des critères dits de RSE n’est pas si importante qu’on pourrait le croire ( 13% des marchés de plus de 90.000 euros pour la seule clause sociale selon les chiffres du recensement économique de l’achat public de 2021, le pourcentage montant à 20 pour les critères environnementaux).

On pourrait évoquer d’autres outils ou techniques eux aussi peu utilisés- par méconnaissance, absence de maitrise, peur de mal faire…- comme la négociation ou le dialogue compétitif, l’accord-cadre avec ou sans marchés subséquents, les possibilités de modifier les contrats en cours…s’agissant de ces dernières, il a fallu que le Conseil d’Etat dans son avis du 15 septembre 2022 et à la demande de la DAJ de Bercy vienne au secours des acheteurs afin de leur rappeler les possibilités offertes par la règlementation - imprévision et avenants circonstances imprévues notamment- afin de prendre en compte dans leurs contrats les conséquences des crises économiques, sanitaires et politiques qui se succèdent depuis plusieurs années.

LE MIRAGE DE LA MODIFICATION DES TEXTES

On ne change pas la société par décret : le sociologue Michel Crozier avait sans nul doute raison et ce il y a plus de 40 ans. Selon lui, ce n’étaient pas les institutions et l’administration qui étaient mauvaises mais leur mise en pratique et les modes de relations entre leurs acteurs.

« Nous vivons une crise d’affolement devant la complexité d’un système que nous ne maîtrisons plus » écrivait-il.

Dans le domaine de l’achat public -comme dans bien d’autres- la maxime est en réalité la même : plutôt que de sans cesse vouloir écrire et réécrire des textes qui ne sont finalement ni lus ni réellement appliqués, et complexifier par-là même sans cesse la machine qui oppresse plus qu’elle ne libère, sans doute faut-il aller vers l’essentiel.

Continuer à professionnaliser l’achat public, et faire en sorte que la communauté d’acheteurs publics compétents et garants de l’efficacité de la commande publique tant sur un plan économique qu’en termes de gestion des deniers publics ne cesse de s’élargir; persévérer dans la création des liens - dans ce sens, les CCAG de 2021 donnent le ton- entre deux sphères qui s’ignorent encore trop souvent, les acheteurs et les opérateurs économiques, du sourcing à la rédaction de modèles de cahiers des charges en passant par l’accompagnement des TPE-PME pour répondre aux procédures de commande publique; évoluer vers des achats davantage innovants voire -comme évoqué plus haut- vers des mécanismes de location peut être plus adaptés que l’achat en tant que tel dans plusieurs domaines…

Les défis sont là et bien là. Et ne dépendent pas particulièrement des textes. Bien sûr qu’il faudra continuer à adapter ces derniers à l’évolution de notre société, le droit et les règles n’étant finalement que le résultat de cette dernière. Bien évidemment qu’il faudra continuer à simplifier - voir la question symbolique de la multiplication des attestations sur l’honneur devant être remises par les candidats, qui ne peut que restreindre encore l’accès à la commande publique et donc la réalité de la concurrence- afin de rendre l’usage du code sans cesse le plus opérationnel possible.

Mais on ne changera pas les pratiques de l’achat public mises en lumière par la Cour des comptes européenne en modifiant une énième fois les textes applicables. Ou alors en faisant une véritable révolution : des directives limitées à des principes et objectifs, en laissant libre choix aux acheteurs publics de mettre en œuvre leurs procédures.

Est-ce vraiment cette liberté-responsabilité avec un cadre réduit à sa plus simple expression que ces derniers attendent, tant du droit européen que des droits internes applicables à chaque État membre ? Rien n’est moins sûr…

Alors où est la vérité, la voie ou les voies pour l’avenir proches ?

Il s’agit là sans doute du principal défi pour cette année 2024, voire au-delà.

Jean-Marc Peyrical

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